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070 - C.R.Acad.Sc. Paris, t.282 (19 janvier 1976) Série D-273, p. 271-274.
Le linéament d'Aspres-les-Corps : sa signification dans le cadre de l'évolution structurale des Alpes occidentales externes.

Note (*) de MM. Maurice Gidon, Jean-Louis Pairis et Jean Aprahamian, transmise par M. Léon Moret.

FIGURES


La zone de fractures subméridiennes d'Aspres-les-Corps a joué d'abord en coulissement sénestre dès le Nummulitique et ultérieurement dans le sens dextre avec un rejet déca-kilométrique, en association avec des chevauchements vers l'Ouest. Elle peut être considérée comme le secteur d'enracinement septentrional du chevauchement de Digne, qui coïncide dès lors avec l`accident séparant le massif cristallin du Pelvoux de ceux des Grandes Rousses, du Rochail et du Taillefer.

Les recherches que nous poursuivons sur le chevauchement de Digne nous ont conduits à suivre cette structure vers le Nord au travers du Dévoluy et à en chercher l'enracinement septentrional dans la région de Corps, au Nord du Drac (4): précisément. les crêtes séparant le Champsaur du Beaumont (1) au Nord d'Aspres-les-Corps, sont caractérisées par la présence d'un chapelet d'affleurements de socle qui traverse du Nord-Ouest au Sud-Est la couverture mésozoïque du massif cristallin du Pelvoux pour se raccorder à l'extrémité Nord-Est du massif du Dévoluy. Dans un important article J. Goguel (9) a attribué à cet alignement la valeur d'un décrochement dextre majeur qui prolongerait vers le Sud l'accident du Chambon et du col de La Muzelle. Alors que F. Bartoli, A. Pécher et P. Vialon (3) confirment l'existence de ce décrochement au col de La Muzelle, J. Vernet (10), au contraire, voit dans les « écailles flottantes » d'Aspres le résultat d'une « tectonique d'éjection » verticale aux dépens d'un « axe anticlinal profond ». Enfin J. Aprahamian (2) met en évidence de part et d'autre de cet alignement de socle, aux abords d'Aspres, des différences dans la cristallinité de l'illite qui peuvent traduire un décalage qui serait alors sénestre.

Devant ces interprétations peu concordantes, nous avons essayé de préciser la signification structurale de cette zone en reprenant son étude, notamment en ce qui concerne le Mésozoïque, sur la base des données stratigraphiques fournies par les secteurs voisins [Beaumont (1), Champsaur (M. G., levers inédits)l. Les résultats cartographiques de ce travail sont schématisés dans la figure 1, qui montre: (a) l'existence d'un faisceau de fractures orientées N 10 à N 20; la fracture la plus orientale, dont le tracé est le plus net, ou faille orientale d'Aspres-les-Corps est dotée d'un plan très vertical; les autres cassures s'anastomosent avec elle en délimitant des copeaux amygdalaires plurikilométriques; (b) la franche obliquité de ces fractures par rapport aux axes des principaux plis de la couverture (qui sont décalés de part et d'autre); (c) l'interférence de ce faisceau de failles avec un autre système de fractures dont la direction est proche de N 150 à N 170, ce qui aboutit à la formation de dispositifs en coins de fractures.

Si le jeu en décrochement de ce faisceau de fractures Nord-Nord-Est - Sud-Sud-Ouest paraît confirmé à l'évidence par nos observations, le sens du rejet horizontal est moins facile à établir ; en fait, suivant les accidents, des rejets de sens opposés sont enregistrés:

(a) Certaines fractures ont un rejet dextre . 1° Un regard sur le socle antétriasique amène à constater qu'à l'Est de la « faille du Gris » (fig. 1) on ne trouve pas trace à l'affleurement (Grand Chapelet) de la large bande de Permo-Houiller qui se développe à l'Ouest (Les Rouchoux). Or, au niveau des séries métamorphiques antéhouillères, les études de P. Gibergy (communication orale) en Valjouffrey font apparaître le long de cette faille (fig. 2) un décalage dextre, décakilométrique, de la limite séparant les granites et les migmatites du Haut Valsenestre de l'ensemble des gneiss et amphibolites du Chaillol et du Bas Valjouffrey: le prolongement de la bande permo-houillère des Rouchoux, ainsi reporté d'une dizaine de kilomètres vers le Sud serait masqué, à l'Est de la faille du Gris, par la couverture liasique ou, peut-être, représenté en partie par les affleurements houillers d'Aspres-les-Corps; 2° la torsion vers le Sud qui affecte la limite méridionale du cristallin dans le secteur des Rouchoux (Tête du Gris) et le mouvement de crochon, également dextre, qui paraît affecter toutes les structures et notamment les failles N 160 du Beaumont à l'approche des fractures d'Aspres trahissent également un mouvement dans ce sens; enfin, les chevauchements auxquels passent, vers le Sud-Ouest, les branches occidentales du faisceau de failles indiquent, eux aussi, un déplacement vers l'Ouest de leur lèvre Sud-Est.

(b) D'autres faits, par contre, prouvent un rejet sénestre décakilométrique: 1° L'étude de l'extrémité Nord-Est du Dévoluy, à l'Est de Monestier-d'Ambel montre clairement, compte tenu des pendages des couches et du sens des crochons, que le décalage le long du faisceau des failles de Beaufin ne saurait être que sénestre. Nous avons d'ailleurs pu montrer (8) par l'analyse des modalités de ce décrochement, à l'intérieur même du Dévoluy qu'il a joué au cours du Nummulitique avant d'être sectionné et « transporté » par un chevauchement (vers l'Ouest) plus tardif; 2° Les crochons affectant les plans des failles N 170 que nous avons observés à l'Ouest du col des Vachers témoignent également d'un jeu sénestre de la faille orientale d'Aspres; ce mouvement se traduit d'ailleurs par le décalage vers le Nord, le long de cet accident, de la voûte anticlinoriale du Lias calcaire du torrent du Brudour par rapport à celle de la Tête de Sambut (dont le cristallin d'Aspres-Beaufin ne représente très vraisemblablement que le coeur). Ce rejet sénestre fournit également une explication satisfaisante au décalage des lignes d'isocristallinité de l'illite. Or le chevauchement du cristallin sur le Lias médio-supérieur, au Nord d'Aspres-les-Corps, présente une disposition (fig. 3 ) qui ne laisse guère de doute sur sa genèse par basculement vers l'Ouest d'un plan de faille préexistant: il est dès lors logique de considérer, comme en Dévoluy, que la phase des mouvements Nord-Sud sénestres est celle qui a produit la fracturation précoce dans ce dispositif, tandis que les mouvements dextres qui ont transformé les failles en chevauchements sont plus tardifs.

En conclusion, si l'on tient compte de ces divers éléments et du contexte structural reconnu dans les régions avoisinantes, il paraît satisfaisant d'envisager un déroulement des événements (fig. 2) qui comporte: (a) une phase nummulitique, créant, par une compression proche de Nord-Sud, une mosaïque de « coins », délimités par des failles conjuguées; (b) une phase tardive (néogène ?), de serrage Est-Ouest, qui déforme cette mosaïque: certaines portions des failles sénestres rejouent alors dans un mouvement dextre, d'orientation peu différente; en même temps les compartiments pris entre les failles (dextres) N 160 s'écrasent et développent des plis subméridiens, tandis que certaines de ces failles, notamment à la limite cristallin-sédimentaire, subissent une torsion de leur plan qui bascule vers l'Ouest; ainsi apparaît, dès le secteur du Valjouffrey (versant ouest du Pic de Valsenestre) mais surtout au Nord-Ouest d'Aspres, la tendance au chevauchement vers l'Ouest qui s'amplifie progressivement du Nord au Sud, à partir du Dévoluy, pour aboutir au chevauchement de Digne.

Aussi peut-on dire que le chevauchement de Digne s'enracine dans l'ancien linéament de fractures coulissantes, déjà formé au Nummulitique, qui constitue à l'heure actuelle la limite orientale des massifs du Rochail et des Grandes Rousses. Ces observations viennent compléter celles que nous avons exposées au sujet des portions plus méridionales du chevauchement de Digne, observations dont il découlait déjà que cette structure récente se superpose sensiblement à des zones de fractures coulissantes conjuguées, formées par serrage Nord-Sud [Zone de fractures de Veynes [(6), (7)]. faisceau du Poil (5)]. Nous pensons désormais que ces zones de fractures appartiennent à un seul grand linéament qui serait très ancien puisqu'il correspond pratiquement à la ligne isopique limitant vers l'Est les faciès réduits du Lias.

(*) Séance du 3 décembre 1975.

(1) J. APRAHAMIAN, Thèse 3° cycle Univ. Grenoble, 1968.
(2) J, APRAHAMIAN, Géol. alpine, 50. 1974, p. 515.
(3) F. BARTOLI, A. PECHER et P. VIALON, Géol. alpine, 50, 1974, p. 17-26.
(4) M. GIDON, Comptes rendus, 280 Série D, 1975, p. 2829.
(5) M. GIDON et J. L. PAIRIS, Comptes rendus, 272, Série D, 1971. p. 2412.
(6) M GIDON et J. L. PAIRIS, Comptes rendus, 268. Série D, 1 969, p. 1570.
(7) M. GIDON, J. L. PAIRIS, H. ARNAUD, J. APRAHAMIAN et J. P. USELLE, Géol. alpine, 46, 1970, p. 87-110.
(8) M. GIDON et J. L. PAIRIS, Géol. alpine, 52, 1 976.
(9) J. GOGUEL, Bull. Soc. Géol. France, 7, 5, 1963, P. 20-29.
(10) J. VERNET, Géol. alpine, 50, 1974, P. 195-236.

Laboratoire de Géologie alpine,
associé au C. N. R . S.,
Institut Dolomieu,
Université scientifique et médicale,
38000 Grenoble.


Figures


figure agrandissable

Fig. 1



figure agrandissable

Fig . 2


figure agrandissable

Fig . 3