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131 - C.R.Acad.Sc.Paris, t.307, Série II, p. 185-190

Tectonique/Tectonics

Relations entre chevauchements et plissement : l'exemple du massif de la Chartreuse (chaînes subalpines, Alpes occidentales françaises)

Maurice GIDON et Jean Louis MUGNIER*

Note présentée par Reynold BARBIER

 

Résumé - Dans le chaînon subalpin de la Chartreuse le schéma des plis de rampe ne rend pas compte complètement des relations géométriques et génétiques entre les chevauchements et leurs plis frontaux. On constate en effet que l'amplitude des chevauchements diminue vers leur front à la faveur de multiples fractures secondaires qui induisent alors un étirement discontinu du flanc court d'un pli déjeté préexistant. Toutes les données indiquent au total que les chevauchements n'ont acquis leur flèche actuelle qu'après une étape préliminaire de plissement.

 

The relations between thrusting and associated folding: Examples from the Chartreuse massif (Northern Subalpine Ranges, France).

 

Abstract - Field data indicate that the anticlines drawn along the front edge of the thrust sheets of the northern subalpine massifs are not related to simple ramp-

fold development and that folding occured here prior to thrusting. Indeed folds are in some places cut by thrusting and the major thrusts exhibit, at their footwall, small thrust sheets which are short limbs of folds born from a previous stage of deformation. These sheets are stretched by thrusting through minor fractures branching off the major thrusts and so look like inverted limbs of folds, although the beds remain only steep or vertical dipping.

Figures :


Abridged English Version:

A. Introduction. At least three kinds of interrelations between thrusts and associated folds can exist (fig.1): the "pli-faille" geometry, related to stretch thrusting, the now very classical ramp fold, also termed "fault-bend folding" [1] geometry, and the forelimb thrust [2] which is less frequently mentionned in the litterature. In a variety of this last kind (fig.1c), termed "fault-propagation folding" [1], the thrust movement fades out inside an anticline.

It is shown that the latter case of combination between thrusts and anticlines is very clearly documented inside the subalpine massives of the French External Alps, particularly all along the three major thrusts of the subalpine Chartreuse massif (fig.2). There, indeed, the deep valleys which cross-cut the structures facilitates the observations, allowing the structure of the thrusts shear-zones to be analyzed in detail at several levels. A few examples of the observed structural pattern are presented in this paper.

B. The Charmant Som example. Near this mountain, under the Chartreuse orientale major thrust, is exposed a 2 km long thrust slice, viz. the so-called "Ecaille de Canaple" [3](fig.3). It is the only typical horse [2][4] present in the Chartreuse massif. Its thrust plane cuts down, at its foot wall, across the minor anticlines of the Charmant Som mountain.

Another thrust slice, mainly made up of Urgonian massive limestones, lies at the foot wall of the Chartreuse orientale major thrust sheet. It is only one hundred meters thick and exhibits a strong tectonical thinning out, which consists of a discontinuous stretching, through minor fractures (of mainly Riedel R type) branching off the major thrust (fig.4). Contrary to what would be expected if it were a horse, it underwent extension rather than compression. Moreover, on the map this slice appears as though its beds had been overturned, although they actually are either steeply inclined or at most vertical.

Such a disposition may only result from a previous tilting of the beds, before they underwent the shearing related to thrust propagation. It is thus obvious that folding occured before thrusting.

C. Other examples. All along the three major thrustlines of the Chartreuse massif similar apparently overturned thrust slices are present. The slopes of the Guiers Mort valley, S and W of the Grand Som mountain (fig.5), and also those of the Guiers Vif, show that, from bottom to top, these slices thicken and finally join an anticline hinge. This occurs through attenuation of their stretching and, correlatively of the thrust movement, which progressively fades out upward. These facts support the above conclusion relative to the role of folding and more or less justify the Chartreuse orientale thrust sheet having been regarded [5] as a "pli-faille".

D. Discussion. The here prevailing geometry seems to have not been commonly observed [6]. The discontinuous stretching out of the short limbs of the anticlines which it implies may result from two possible evolutions: either (a) at a first stage, the thrusts propagation created anticlines at their tip line (as proposed by some authors [1][7][8]) and later the short limbs of these folds were stretched out by the thrusts; or (b) the anticlines resulted from a previous deformation stage, an interpretation supported by the evidence of pre-Miocene folding [5] and by the fact that the Canaple thrust cuts down across previously developped anticlines.

E. Conclusions. The major anticlines of the Chartreuse massif are not related to thrusting by a simple fault-bend folding process. No duplex systems (but at a stratal scale), neither typical horses (but for the Ecaille-de-Canaple case) outcrop at any of the various levels reached by the erosion. There is evidence that the fold development occured prior to thrusting, perhaps in Paleogene times ([3],[9]), and that thrusting was probably controlled by these previous folds. These data examplify one out of the several types of "thrust front" [10], which appears to be a very frequent case for the subalpine ranges.


A. Introduction: Les relations entre la formation des chevauchements et celle des plis anticlinaux que l'on observe le long de leur front d'érosion peuvent se concevoir au moins selon trois schémas fondamentalement différents (fig.1): celui du pli-faille, très généralement adopté par les auteurs anciens, mais qui pose des problèmes de compatibilité entre les raccourcissements en surface et en profondeur ; celui du pli de rampe ("fault-bend fold" [1]), actuellement très en vogue; enfin celui du flanc court de pli sectionné par un chevauchement ("forelimb thrust"[2]), dont une variante peut être qualifiée de pli d'amortissement ("faultpropagation fold" [1], fig.1,c); dans cette dernière le raccourcissement lié au chevauchement est absorbé, vers le haut, par celui qu'exprime le plissement.

Alors que les publications qui présentent des coupes équilibrées en utilisant la géométrie de plis de rampe simples se multiplient dans les régions les plus diverses, il est remarquable que l'on n'observe guère, dans les massifs subalpins, que des relations de type amortissement. Cette assertion sera présentée ici en l'étayant sur les données du massif de la Grande Chartreuse (fig.2) qui est affecté de trois chevauchements majeurs, post-miocènes, à vergence W [3].

 

B. L'exemple du Charmant Som (fig.3). Le chevauchement de la Chartreuse orientale est ici souligné par l'intercalation de deux lames tectoniques, essentiellement constituées d'Urgonien, entre les couches valanginiennes chevauchantes, disposées à l'endroit, et le flanc E (incluant jusqu'au Sénonien) de l'anticlinal de la Chartreuse médiane, à laquelle appartient le reste de cette montagne.

1. La lame la plus occidentale (ou écaille de Canaple [3]) s'individualise par décollement des termes supérieurs aux "couches à orbitolines" de ce flanc E d'anticlinal. Dotée d'un rejet de chevauchement atteignant une valeur kilométrique et affleurant sur une longueur de 2 km du N au S, elle est peu tectonisée et disposée en série normale. Elle constitue donc une digitation inférieure formée par imbrication (donc du type "horse" [2],[4]).

En suivant sa surface de base d'E en W on peut faire deux observations significatives (fig.3):
- (a) Sous l'écaille, les couches autochtones sont redressées et même renversées en un crochon synclinal hectométrique; elles sont débitées en tronçons par une succession de failles plates à vergence W, certainement interprétables comme les Riedels R, "synthétiques", du chevauchement.
- (b) La surface de base de l'écaille, loin d'être replissée avec les plis hectométriques qui affectent la structure anticlinale du Charmant Som, est faiblement pentée et presque plane, de sorte qu'elle les tranche tour à tour, d'E en W.

2. La deuxième lame (ou lame de Roche Penna (fig.4), affleure immédiatement sous le chevauchement. On ne peut l'assimiler à une imbrication basale du type "horse". La cartographie montre en effet que cette lame, inclinée à près de 45° vers l'E, se dispose globalement en série inverse . Son Urgonien, assez tectonisé, est notamment affecté d'une réduction d'épaisseur qui traduit un étirement. Mais ce dernier est en fait obtenu par une déformation discontinue, à la faveur d'un débitage oblique, en tronçons décamétriques à l'intérieur desquels les couches restent subverticales ou peu basculées. Comme sous l'écaille de Canaple ces tronçons sont délimités par des failles plates à vergence W, la plupart assimilables à des Riedels R, dont le rejet est décamétrique et les mouvements orientés selon le N110, comme celui du chevauchement principal sur lequel elles se branchent.

Au total deux constatations sont à souligner en raison de leurs implications génétiques:
- (a) l'existence, au mur des accidents chevauchants (aussi bien sous l'écaille de Canaple que sous le chevauchement principal), de panneaux de couches redressés et amincis par étirement tectonique. Cette disposition indique, en tout état de cause, que les couches sectionnées par le chevauchement avaient subi un basculement préalable (tel que les surfaces stratigraphiques soient disposées selon une inclinaison faisant moins de 45° avec celle de la direction d'extension du cisaillement de chevauchement): en d'autres termes un plissement avait précédé la rupture des couches.
- (b) l'antériorité des plis du Charmant Som par rapport au chevauchement de Canaple, qui confirme la conclusion précédente.

C. Autres exemples. Si des imbrications aussi nettes que celle de l'écaille de Canaple ne sont pas connues ailleurs en Chartreuse, par contre des lames similaires à celle de Roche Penna s'observent le long des chevauchements majeurs de Chartreuse :

1. Le chevauchement de la Chartreuse orientale est jalonné vers le N, jusqu'au col du Mollard (à proximité de Chambéry), par un chapelet de lames discontinues d'Urgonien aminci. En particulier au Grand Som une telle lame se raccorde anticlinalement à l'Urgonien en flanc normal de la série chevauchante et s'effile vers le bas avant d'atteindre le niveau de la vallée du Guiers Mort (fig.5). Ces faits, qui ont été à l'origine de l'assimilation du chevauchement de la Chartreuse orientale à un pli-faille [5], confirment que le chevauchement s'est développé en rompant un flanc court de pli.

2. Le long du chevauchement de la Chartreuse médiane la structure chevauchante est analysable en rive N du Guiers Mort (fig.5) et en rive droite du Guiers Vif (pentes de Corbel). On retrouve dans le détail le même processus de tronconnement mais ici on constate en plus, par la cartographie, que la lame renversée se raccorde en continu au flanc ouest de l'anticlinal rompu: tous les termes de la succession stratigraphique du flanc W de ce pli, du Tithonique au Sénonien, y montrent clairement leur amincissement progressif, du haut vers le bas. Dans le Guiers Mort on observe en outre, en montant dans le versant, que la discontinuité qui matérialise la trace du chevauchement s'y efface progressivement pour laisser place à un raccord synclinal avec les couches de l'anticlinal occidental. Il s'agit donc ici aussi de l'étirement d'un flanc W d'anticlinal, à la faveur duquel le mouvement de chevauchement s'amortit vers le haut.

3. Le long du chevauchement de la Chartreuse occidentale on constate, tant dans les gorges du Guiers Mort (Fourvoirie) que dans celles du Guiers Vif (au N de Berland), le même débitage du flanc W d'un pli anticlinal par de multiples plans de failles inclinés environ à 45° vers l'E. Toutefois il n'y a là aucune tendance à l'étirement du flanc court du pli, qui est moins basculé et n'atteint même pas la verticale [5]. Ceci est à corréler avec l'amortissement du chevauchement indiqué par la cartographie au N de la vallée du Guiers Vif.

D. Discussion. Il est remarquable que nulle part (sauf à la base de l'écaille de Canaple) l'on ne voit les surfaces de chevauchement s'engager simplement dans un "plat", le long d'un niveau stratigraphique du compartiment chevauché. Au contraire partout elles se poursuivent vers le haut, le long du flanc court d'un pli déjeté, flanc qui subit un étirement marqué, bien que non ductile. Un tel processus d'étirement par tronçonnement, parfaitement illustré ici, n'a, semble-t-il, que rarement été rencontré et analysé ailleurs [6].

Deux évolutions peuvent, a priori, aboutir à cette géométrie: -(a) le pli déjeté résulte, dans une première étape du jeu même du chevauchement, du blocage et de l'amortissement de ce dernier, selon un processus qui est d'ailleurs actuellement envisagé par quelques auteurs [1][7][8]; -(b) ce pli s'est formé dans une phase franchement antérieure et de façon indépendante du chevauchement.

Deux faits au moins portent à privilégier la deuxième interprétation: -(1) le jeu de l'écaille de Canaple est tardif par rapport à la formation des plis du Charmant Som; -(2) il y a des indices stratigraphiques d'une ébauche anté-miocène de l'anticlinal occidental de la Chartreuse, alors que les chevauchements affectent le Miocène [5]. Quoi qu'il en soit, le plissement est nécessairement intervenu dans une étape antérieure à la propagation du chevauchement au travers de la série.

E. Conclusion. La liaison entre les chevauchements de la Chartreuse et leurs anticlinaux frontaux s'écarte donc du schéma du simple pli de rampe "passif" et s'apparente de très près à celui du pli d'amortissement (fig.1). Ces chevauchements, post-miocènes, n'ont acquis leur ampleur actuelle qu'après une étape de plissement préalable, (qui peut éventuellement être pour partie d'âge paléogène [3][9]). Ils s'engagent dans les flancs courts (occidentaux) des plis de cette première étape, sans se poursuivre de façon observable vers l'W, à la faveur de "plats". Ainsi le mouvement de chevauchement tend à être progressivement absorbé par l'étirement cisaillant de ces flancs de plis, étirement d'ailleurs discontinu et d'autant moins marqué que l'on progresse d'E en W dans le massif.

C'est là un exemple d'une des modalités, sans doute fréquente, de l'amortissement des chevauchements dans les zones les plus externes ("Thrust fronts" [10]) des chaînes. En effet les faits connus en ce qui concerne les autres chevauchements des chaînes subalpines incitent à penser qu'ils relevent de processus similaires. C'est apparemment par une évolution depuis l'étirement discontinu observé en Chartreuse vers un étirement plus ductile que l'on passe, d'ailleurs, vers le N, au système des "nappes-plis couchés" helvétiques.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

[1] W.R. JAMISON, 1987, Journal of Structural Geology, V.9, n°2, p.207-219 [2] R.W.H. BUTLER, 1982, Journal of Structural Geology, V.4, n°3, p.239-245, 1982 [3] M.GIDON, 1982, Géologie alpine, 58, p.53-68.

[4] S.E.BOYER, D.ELLIOTT, 1982, American Ass. of Petroleum geologists Bull., 66, 9, p.1196-1230

[5] M.GIDON, 1964, Trav. Lab. Géol. Grenoble, 40, p.187-205.

[6] J.P.PLATT, J.K.LEGGETT, 1986, American Ass. of Petroleum geologists Bull., 70, 2, p.191-203.

[7] M.W. FISCHER & M.P. COWARD, 1982, Tectonophysics, 88, 291-312 [8] G.D. WILLIAMS & T.J. CHAPMAN, 1984, J. Geol. Soc. London, 141, p.121-128 [9] B.DOUDOUX, B.MERCIER et M.TARDY, 1982, Comptes rendus, 295, p.63-68.

[10] C.K.MORLEY, 1986, American Ass. of Petroleum geologists Bull.,70,1,p.12-25

* Université scientifique technologique et médicale de Grenoble, Institut Dolomieu, 15 rue M.Gignoux, 38O31 Grenoble cedex,

U.A. C.N.R.S. n°69, Géologie alpine, publication n° 786


Figures:

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Fig.1. - Trois types de relations entre un chevauchement et un anticlinal: a - pli-faille; b - pli de rampe "passif"; c - pli d'amortissement.
Fig.1 - Three kinds of interrelations between a thrust and an anticline: a - the "Pli-faille" (stretch thrust); b - the ramp fold; c - the fault-propagation fold.


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Fig.2. - Schéma de localisation: ø1 = Chevauchement occidental ; ø2 = Chevauchement médian ; ø3 = Chevauchement de la Chartreuse orientale.
Fig.2. - Location sketch map.



(figure agrandissable)

Fig.3. - Coupe au S du Charmant-Som (la "Lumachelle" est d'âge Aptien supérieur).
Fig.3. - Cross-section of the Charmant-Som mountain (the "Lumachelle" level is Upper Aptian in age).



(figure agrandissable)

Fig.4. - Détail des abords du chevauchement de la Chartreuse orientale, le long de la route forestière du Charmant Som.
Fig.4. - Structural details at the footwall of the Chartreuse orientale thrust, along the Charmant Som road.



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Fig.5. - Coupe partielle de la rive droite de la vallée du Guiers Mort.
Fig.5. - Cross-section of a part of the northern side of the Guiers mort valley.