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175 - Géologie alpine, 1995, t.71, p. 175-192.

Tectonique et origine de la cluse de Grenoble

Maurice GIDON

Rue des Edelweiss ; 38500 VOIRON

Résumé :

Les principaux traits structuraux des deux rives de la cluse sont analysés pour rechercher les indices d'éventuels accidents empruntant la vallée. Ces données structurales montrent qu'en aval de la transversale Saint-Égrève - Sassenage (c'est-à-dire sur la plus grande partie de son tracé) aucune faille ou ensellement des plis ne peut être invoqué pour y expliquer l'implantation de la vallée. L'ébauche d'ensellement qui se manifeste aux alentours de cette dernière transversale ne peut expliquer l'implantation de la cluse car elle est insuffisamment marquée et orientée NE-SW, c'est-à-dire de façon très oblique. L'hypothèse du rôle directeur d'un accident tectonique n'est envisageable que pour la partie tout-à-fait amont de la cluse, où l'absence de prolongement direct des structures d'une rive à l'autre s'explique sans doute par l'intervention d'une faille de déchirure, désolidarisant lors de leur chevauchement les deux tronçons du même ensemble structural que sont la Chartreuse orientale et le chaînon du Moucherotte. Un accident tectonique a donc pu être à l'origine de l'amorçage, par l'amont, du creusement de la cluse ; mais il est certainement injustifié de qualifier celle-ci, à proprement parler, de vallée structurale puisque l'essentiel de son cours ne suit aucun accident. Elle est plus probablement épigénique, dérivant au début de son creusement d'écoulements orientés selon la plus grande pente de la chaîne alpine, puis sans doute déviée dans le sens horaire (comme la plupart des autres cluses subalpine) par la composante dextre des déformations les plus tardives des massifs subalpins.

Mots clés. Isère, cluse, géomorphologie structurale, Dauphiné, France.

 

Structure and origin of the Isère cross valley near Grenoble

Abstract

The main structural features of the surroundings of the Isère cross valley, downstream of Grenoble are examined. It is concluded that no fault nor saddle of the N-S trending folds do occur along the lower main part of this valley. The saddle which exists between Saint-Égrève and Sassenage is uncomplete and trends NE-SW, that is very oblique to the valley. Upstream of these localities a sinistral offset occurs between the structural lines of the two slopes. It results most likely from the presence, under the alluvial filling of the valley, of a tear fault acting upon the great Eastern Chartreuse Thrust. This may explain the emplacement of the uppermost part of the cross valley, although the similar wrench faults which are known, in the Chartreuse massif, which had not such geomorphological effects. As the trend of the cross valley cannot result from the presence of any local cross structure, it is more likely that it was epigenetically grooved from an early (miocene) drawing, mapped out downslope on the rising Belledonne chain. The explanation for its actual trend may be that it underwent, later, a clockwise deviation due to the dextral component of the latest tectonics of the Subalpine Massifs (as did most of the other cross valleys of these chains).

Key words : Isère, cross valley, structural geomorphology, Dauphiné, France.


FIGURES

1 - Introduction

La cause de la localisation et de l'orientation de la cluse de l'Isère en aval de Grenoble a intrigué de longue date. Nombre d'auteurs ont considéré que son tracé n'était pas le fruit du hasard mais que la cluse de Grenoble devait avoir une origine structurale, autrement dit suivre le tracé d'un accident tectonique, qui en aurait dirigé l'implantation. C'est évidemment là une hypothèse qui séduit presque avec la force d'une évidence (tant l'aléatoire paraît peu acceptable en géomorphologie), mais dont on n'a peut-être pas examiné assez rigoureusement si elle s'accordait avec les données géologiques de terrain.

Deux sortes d'accidents tectoniques sont susceptibles d'avoir dirigé l'implantation du cours de la rivière : a) des transsynclinaux, c'est à dire des ensellements des plis subméridiens que traverse la cluse(fig. 1), conformément à la théorie la plus souvent retenue [Lugeon, 1901 ; Blache, 1931 ; Blanchard, 1941 ; Gignoux et Moret, 1952] ; b) des failles, comme on l'a envisagé plus récemment [Barbier et Debelmas, 1960, Gidon et Arnaud, 1978]. L'existence éventuelle, ou l'absence, de telles structures n'est pas aussi aisée à mettre en évidence que l'on serait tenté de le considérer.

- En ce qui concerne les failles, sauf si elles sont assez obliques à la cluse pour être partiellement visibles sur ses flancs, elles seront masquées sous la bande d'alluvions, large de 2 à 3 km, qui remplit la cluse : l'on ne peut donc en présumer la présence que d'une façon indirecte, par la mise en évidence de décalages (verticaux et/ou horizontaux) qui leur soient imputables. Mais cela implique aussi d'établir la correspondance entre les éléments structuraux servant de repères dans l'appréciation de ce décalage et de choisir entre l'explication de ce dernier par une cassure ou par une torsion.

- Pour ce qui est des transsynclinaux, leur mise en évidence est tout aussi indirecte : elle doit se faire par l'analyse des mesures d'altitude et de pendage des strates de leurs flancs, car les axes de plis subméridiens ne s'observent que rarement à l'affleurement. Contrairement à ce qu'ont fait, la plupart du temps, les auteurs il ne suffit pas de raisonner sur les altitudes d'un même niveau stratigraphique, car, fut-il en position de voûte ou de fond de pli, une surélévation sur la rive opposée ne suffit pas pour mettre en évidence un ensellement de ce pli : encore faut-il que les inclinaisons axiales s'inversent de part et d'autre, faute de quoi cette dénivellation peut aussi bien être dûe à une cassure. Enfin même la reconnaissance d'éventuelles variations de pendage des axes de plis doit être complétée par la détermination, encore plus délicate, de l'orientation des plis transaxiaux ainsi détectés (on ne peut évidemment envisager d'attribuer à ces transsynclinaux un rôle dans la formation de la cluse que si leur orientation est proche de la sienne).

Il ne semble pas que toutes ces précautions dans l'analyse des données aient toujours été respectées lorsqu'on s'est penché sur ce problème. Pire, deux erreurs grossières dans la manière de l'aborder ont été au contraire souvent faites (et le sont encore communément, a fortiori, dans le grand public) :

La première est de se livrer à une simple comparaison visuelle des deux coupes naturelles que donnent les rives de la cluse (telles celles figurées, par exemple dans les guides, en commentaires des panoramas de ces rives) : en effet, sur ces coupes naturelles, les prolongements des structures d'une rive à l'autre ne sont pas en vis-à-vis mais décalés, parce que la cluse n'est pas orthogonale mais oblique aux axes des plis ; de plus les plongements de leurs axes et les différences de profondeur atteinte par l'érosion leur font se dessiner dans des niveaux statigraphiques différents, ce qui transforme la manière dont elles s'expriment dans le paysage. Ceci a conduit à envisager des correspondances erronées d'une rive à l'autre. À cet égard on peut citer en exemple la trompeuse analogie d'aspect entre le synclinal de Proveysieux et celui de Villard-de-Lans : elle fait croire, à tort, comme on le verra, que ces deux plis se prolongent l'un l'autre. Une démarche prioritaire consiste évidemment à comparer deux coupes construites perpendiculairement aux structures majeures, c'est-à-dire aux plis subméridiens et au chevauchement de la Chartreuse orientale (fig. 2). On voit alors apparaître l'évidence de certaines correspondances structurales entre les deux rives de la cluse (par exemple celle entre le synclinal de Proveysieux et celui des Vouillants de Fontaine, ainsi que celle entre les synclinaux, plus mineurs, de Sassenage et du Cornillon). Mais cette seule comparaison ne saurait cependant permettre de détecter une structure transverse qui serait localisée le long du tracé de la cluse.

La seconde erreur est de considérer comme preuve d'un ensellement des plis le fait d'observer, sur l'une et l'autre des deux rives de la vallée, un infléchissement symétrique, en direction de l'axe de la cluse, des falaises déterminées par les niveaux stratigraphiques les plus résistants. Cette erreur résulte en fait de la confusion, commune chez les personnes peu formées à l'analyse structurale, entre le dessin de l'intersection des surfaces de couches par la surface topographique et l'attitude des couches elles-mêmes (fig. 3). Autrement dit ce que l'on observe généralement dans une vallée est seulement une disposition morphologique due à l'érosion, classique sous le nom de « V topographique ». Cette disposition est évidemment bien illustrée dans la cluse de Grenoble ; elle ne saurait témoigner d'aucun abaissement vers la vallée, ni des couches ni surtout des axes de plis, contrairement à ce qui a été écrit par des auteurs parmi les plus célèbres (voir notamment Blanchard, 1941, t.2 , chap. 1).

La mise en évidence d'accidents empruntant la cluse ne peut donc se contenter de comparaisons visuelles imprécises. Elle doit au contraire se baser sur des données chiffrées résultant de mesures. C'est ce qu'autorisent, précisément, les progrès de ces dernières décennies en matière de rigueur et de précision dans l'analyse tectonique. Ces données concernent la disposition des objets tectoniques mesurables, c'est-à-dire des surfaces de couches, des surfaces de failles, des "plans" axiaux et des axes de plis. Dans la présente note, ce n'est donc qu'après un examen critique des données sur la géométrie des structures que l'on passera à la discussion des hypothèses envisageables.

2 - Rapports géométriques entre les deux rives

2.1. Géométrie des surfaces stratigraphiques

L'amélioration de la précision des fonds topographiques et de la finesse de la cartographie géologique qui en découle, permettent désormais de se baser sur les relevés précis des azimuts et pendages des couches, pour établir leurs relations probables, d'une rive à l'autre, par des comparaisons à altitude topographique égale et en considérant le même niveau stratigraphique précis. Les relevés de l'auteur, dont une partie est déjà consignée sur la carte géologique au 1.50.000° [Gidon et Arnaud, 1978], ont ainsi été utilisés pour la construction de la figure 4. Si l'on compare d'une rive à l'autre la frange des versants qui domine de quelques centaines de mètres le fond de la vallée, on relève alors, d'aval en amont, les faits suivants :

a) L'orientation des dalles urgoniennes qui affleurent au nord-ouest de Voreppe et de Veurey (en amont de la faille des Balmes) autorise une prolongation directe des couches d'une rive à l'autre, sans autre changement qu'une modeste torsion horaire de leur azimut, du nord vers le sud. Le flanc est de l'anticlinal du Ratz, auquel elles appartiennent, est donc légèrement courbé, mais de façon antiforme et non en ensellement. Cette disposition, outre qu'elle est peu marquée, n'est certainement pas celle qui aurait pu le mieux favoriser l'implantation de la vallée à cet endroit.

b) Dans le secteur médian de la cluse, entre la transversale Veurey - Voreppe d'une part et une ligne Cornillon - Saint-Jean-de-Noyarey d'autre part, les azimuts des couches sont nettement différents d'une rive à l'autre : c'est le cas aussi bien pour la dalle des calcaires du Fontanil que pour celle du Tithonique, dont l'azimut est presque est-ouest en rive droite mais presque nord-sud en rive gauche. Pour toutes, le raccord d'une rive à l'autre implique qu'elles subissent, dans le secteur masqué par la plaine alluviale, une inflexion azimutale synforme. En l'occurrence l'accident qui correspond à ce mouvement n'est guère hypothétique : c'est à l'évidence la flexure des Engenières (fig. 1), qui est bien observable en rive gauche (voir plus loin).

c) Immédiatement en amont, sur la transversale Sassenage - Rocheplaine, les deux dalles urgoniennes de la Dent du Loup et de Rocheplaine, qui semblent à première vue se correspondre, ont effectivement des azimuts très voisins. Elles ne peuvent cependant se prolonger l'une par l'autre, car les isohypses d'altitude correspondante y sont décalées de près de 2 km, d'est en ouest. En outre la première appartient au flanc ouest de la flexure des Engenières, alors que la seconde se situe nettement à l'est de cet accident.

d) L'Urgonien de Rocheplaine trouve au contraire un prolongement azimutal excellent dans celui qui affleure entre Sassenage et Fontaine (ceci apparaît d'ailleurs avec évidence si l'on examine la situation depuis le débouché aval des gorges d'Engins). Cette observation pousse très fortement à raccorder le flanc ouest du synclinal de Proveysieux avec le flanc est de l'anticlinal de Sassenage, et non avec le flanc ouest du synclinal de Villard-de-Lans (contrairement à ce que la symétrie de situation, par rapport à l'axe de la cluse, de leurs deux sections naturelles tendrait illusoirement à suggérer). Cette interprétation est, comme on le verra plus loin, celle qui est le mieux compatible avec les connexions, d'une rive à l'autre, entre les divers autres plis et failles.

On notera que la carte en isohypses (fig. 4) explique très simplement le pendage, un peu plus modéré, de l'Urgonien de la rive gauche (30°E entre Sassenage et Fontaine, contre 55°E au nord-est de la cluse) par le simple fait que l'on se rapproche là de la voûte de l'anticlinal de Sassenage. Par ailleurs, au nord de Rocheplaine, les directions des couches urgoniennes subissent une torsion azimutale progressive, de 15° dans le sens horaire (fig. 4) : celle-ci peut représenter l'ébauche d'une inflexion synforme transaxiale (en ce cas oblique à la cluse et décalée vers le nord par rapport à elle).

e) En amont du Muret de Saint-Égrève, d'une part, et des Balmes de Fontaine, d'autre part, aucune connexion stratigraphique entre les deux rives ne semble avoir un caractère de plausibilité suffisant : les raccords envisageables (comme celui consistant à prolonger vers le haut la succession du Néron par le Sénonien qui affleure entre Sassenage et Fontaine) introduisent tous des incohérences au plan de l'interprétation tectonique. L'analyse comparée des géométries des couches d'une rive à l'autre est donc ici sans objet. Il est vraisemblable, bien sûr, que cette situation trahit la présence de perturbations tectoniques importantes au niveau de la cluse.

2.2. Géométrie des plis subméridiens.

La présence de plis dont l'orientation axiale est proche de nord-sud constitue le trait majeur de la tectonique de la cluse, comme de celle des massifs qui l'encadrent. Mais ces plis sont certainement aussi les éléments structuraux les plus difficiles à appréhender avec rigueur car ils ne s'observent souvent pas directement, de sorte que leur géométrie doit être définie par des constructions géométriques. Dans l'examen ci-après, qui procède d'ouest en est, on tentera de prendre en compte aussi bien l'azimut et le pendage de leurs surfaces axiales (fig. 5) que ceux de leurs axes.

2.2.1. anticlinal du Ratz

L'anticlinal du Ratz se rattache, comme on le sait, au Jura plus qu'aux chaînes subalpines. C'est de fait un pli coffré typique, qui garde d'une rive à l'autre une voûte subhorizontale. Ce sont les mêmes niveaux de l'Urgonien inférieur qui affleurent sur cette voûte, à altitude pratiquement identique, symétriquement au Bec du Ratz et à la Dent de Moirans. En fait, ce pli plonge légèrement de part et d'autre de la cluse, vers le sud en Vercors, où il marque un ensellement à Montaud, et vers le nord, en rive droite de l'Isère, où il en présente un autre aux environs de Saint-Aupre (au nord-est de Voiron) : le cours de la cluse le coupe donc plutôt sur une culmination transversale (celle-ci se manifeste aussi, comme on l'a vu, par une variation des azimuts des couches de son flanc est). Ce mouvement transverse prolonge d'ailleurs vraisemblablement le transanticlinal de Charminelle, d'axe nord-est - sud-ouest, visible en Chartreuse occidentale [Gidon, 1994].

L'Urgonien du flanc oriental de ce pli décrit en outre une inflexion synforme accusée, la "flexure de la Poste de Voreppe" (fig. 1 et 2), que sectionne plus au nord la faille des Balmes. On la retrouve sur la rive gauche, dans le prolongement exact de son axe, orienté NNE - SSW, et à une altitude comparable dans les mêmes niveaux.

Aucun décalage, ni par une faille cachée sous les alluvions ni par un ensellement, n'est donc perceptible dans cette portion de la cluse.

2.2.2. synclinal de Voreppe

En raison de la nature molassique (donc sujette à de nombreuses obliquités de litages) de son remplissage visible, on ne dispose pas de données sur la géométrie précise du synclinal de Voreppe. Tout porte cependant à présumer également que son axe ne s'écarte pas sensiblement de l'horizontale du côté chartreux. Il n'est pas visible du côté du Vercors, car il s'y enfonce sous le chevauchement de Voreppe, et l'on ne peut donc rien dire sur son attitude sur cette rive.

2.2.3. anticlinal des Égaux

Il s'agit du pli principal de la Chartreuse occidentale, que l'on peut qualifier de "frontal" car il en suit la bordure ouest. En fait il semble ne représenter que le crochon supérieur du chevauchement de Voreppe, qui, sur toute sa longueur, sectionne son flanc occidental et s'amortit (au nord du Guiers Vif) dans le coeur de ce pli. Son orientation est d'ailleurs moins méridienne que celle des plis plus orientaux, qui viennent buter contre lui à tour de rôle. La charnière de ce pli n'est nulle part observable aux abords de la cluse (pour la voir il faut se déplacer vers le nord jusqu'à la Grande Sure) car sa voûte y est totalement amputée par l'érosion, du fait de sa surélévation par le chevauchement de Voreppe (fig. 2). On ne peut donc en étudier l'axe pour déterminer son attitude à la traversée de la cluse.

Toutefois on peut mettre en évidence, dans le flanc oriental de ce pli, des ondulations transaxiales, qui sont orientées N60 à N70 [Gidon, 1994]. Cette orientation est orthogonale à la cluse et il est donc évident que ces inflexions axiales n'ont pu jouer le moindre rôle dans la détermination du tracé de cette dernière. Au contraire on doit noter que c'est au travers du flanc sud-est d'une ondulation antiforme (le transanticlinal de Charminelle, voir la figure 1), et non à l'emplacement d'une ondulation transsynclinale, que s'inscrit la cluse.

2.2.4. synclinal de Villard-de-Lans

Les plis du Vercors central qui atteignent la cluse sont (d'ouest en est) le synclinal d'Autrans, l'anticlinal de Sornin et le synclinal de Villard-de-Lans. Mais ni le synclinal d'Autrans ni le flanc ouest de l'anticlinal de Sornin ne parviennent à la traverser. Ceci est d'abord dû au fait qu'ils sont tranchés auparavant par le chevauchement de Voreppe, puis à celui qu'ils s'amortissent très fortement avant même de l'atteindre (on voit bien que l'Urgonien ne dessine plus, en marge de la cluse, qu'une dalle pratiquement plane entre la Dent du Loup et le Bec de l'Orient). De fait, en Chartreuse, on ne trouve apparemment, en face du synclinal de Villard-de-Lans, qu'un monoclinal qui correspond au flanc est de l'aire anticlinale de la Chartreuse occidentale.

En fait les plis du Vercors sont de section très coffrée, et ce caractère s'accuse aux approches de la cluse, de sorte que la coupe qu'elle en donne montre finalement un enchaînement d'ondulations monoclinales ("flexures") délimitant des voûtes et des fonds de plis fort plats. Ces ondulations sont très comparables, par leur situation, leur orientation et leur dessin en coupe, à celles qui s'observent, plus au nord, dans la Chartreuse occidentale, où l'on voit se succéder (fig. 1) les deux flexures, synforme puis antiforme, de la Grande Vache et de Génieux (ces flexures de la Chartreuse occidentale ne prolongent cependant pas celles du Vercors mais leur succèdent plutôt du côté est).

En définitive la rive sud de la cluse montre d'abord (d'ouest en est) une "flexure antiforme de Noyarey", qui représente le flanc est de l'anticlinal de Sornin. Son enchaînement, en S, avec la "flexure synforme des Engenières", flanc ouest du synclinal de Villard-de-Lans, constitue un trait des plus marquants du paysage des pentes dominant Noyarey (fig. 2). À l'est, le synclinal de Villard-de-Lans proprement-dit, doté d'un large fond plat, est délimité à son tour, du côté est, par le "synclinal de Sassenage". Ce dernier pli (non dénommé par les auteurs antérieurs) s'observe sur l'éperon rocheux sur lequel s'appuie cette agglomération, quelques centaines de mètres au sud-est de la bifurcation de la route de Saint-Nizier. Il se distingue aussi, à distance, dans la falaise de Sénonien dominant les Cuves (lesquelles s'ouvrent néanmoins dans son flanc ouest).

Ces trois plis seront examinés l'un après l'autre ci-après, car il est nécessaire de bien en faire la distinction si l'on veut voir comment se comporte leur système à la traversée de la cluse.

Flexure antiforme de Noyarey

Ce pli est celui qui prolonge vers le nord le flanc est de l'anticlinal de Sornin (qui, de symétrique, devient coffré au niveau de la cluse). Le plan axial de cette flexure, à fort pendage ouest (environ 40°), se suit à travers la succession stratigraphique descendante du flanc de la cluse, entre la Dent du Loup (Urgonien supérieur) et le pied sud-est de la Cuche d'Ézy (Tithonique). Vers le bas elle se dédouble en fait en deux ondulations parallèles : la plus orientale passe au Maupas de Noyarey et son plan axial atteint la plaine alluviale sous ce village ; la plus occidentale montre sa charnière dans les lacets nord de la route d'Ézy, au nord-ouest de Noyarey (fig. 5).

Au nord-est de la cluse, son orientation la ferait passer peu à l'ouest de l'aiguille de Chalais : il est normal que l'on ne l'y observe presque pas car cela l'amène à y être sectionnée par le chevauchement de Voreppe. Mais les dalles tithoniques de l'aiguille de Chalais se placent parfaitement, en azimut et en pendage, dans le prolongement de celles de La Cuche d'Ézy et se rattachent bien, par conséquent, au flanc est de ce pli.

De plus ces couches montrent, au sommet même de l'aiguille de Chalais, un début d'inflexion antiforme qui correspond à celle du Maupas. Cela indique, entre l'aiguille de Chalais et Noyarey une dénivellation de 800 m des niveaux équivalents, donc un plongement axial de l'ordre de 10 degrés. Sur le versant sud-ouest de la cluse de l'Isère, jusqu'à Sornin, 3,5 km au sud-ouest du bord de la plaine alluviale de la cluse, l'axe de ce pli reste partout incliné vers le Sud (comme les plis de Chartreuse), c'est-à-dire à l'opposé de la direction de la cluse : c'est ainsi qu'à la Cuche d'Ézy, l'enfoncement, vers le sud, de sa voûte tithonique occidentale fait plonger cette dernière de 800 m jusqu'à 500 m, avant qu'elle disparaisse sous le Berriasien de Trucherelle. Ceci infirme donc totalement l'idée qu'un ensellement transverse emprunte la cluse dans le secteur où elle traverse ce pli, c'est à dire en aval d'une ligne Le Chevalon - Saint-Jean de Noyarey.

Plus au sud, dans le secteur de La Molière - Charande, sa voûte urgonienne (mise à nu de place en place) devient subhorizontale, après une remontée très passagère. Au-delà, la flexure se confond avec la voûte de l'anticlinal de Sornin, laquelle fait preuve, à son tour, d'un enfoncement progressif en direction du col de la Croix-Perrin : aucune inversion de plongement axial ne s'y rencontre donc, même en allant jusqu'à cette latitude.

Flexure synforme des Engenières

C'est ce pli qui confère au flanc ouest du synclinal de Villard-de-Lans sa forme coffrée. Son plan axial, doté d'un azimut NS et d'un pendage vers l'ouest d'environ 40°, coupe le niveau de la plaine alluviale peu au sud-est de Saint-Jean-de-Noyarey, immédiatement au nord des carrières de Pra-Paris (fig. 2 et 5). Sur l'autre rive, on retrouve la même inflexion des couches au Chevalon de Voreppe (à peu près à la limite des affleurements de Tithonique et de Berriasien du bord de la plaine alluviale), c'est-à-dire dans l'alignement correspondant à son azimut axial (fig. 4). Il n'y a donc aucun motif à envisager son décalage par une cassure transverse décrochante, empruntant la cluse, contrairement à ce qu'indique le schéma structural de la 2° édition de la carte géologique [Gidon et Arnaud, 1978].

L'axe de ce pli reste plongeant vers le sud sur les deux rives mais on remarque que le pendage des couches du flanc est de cet accident (orientées aux alentours de N80 à N60), est plus fort (environ 30°S entre le Chevalon et le Fontanil) au nord-est de la cluse qu'au sud-ouest (10°S aux Engenières, puis subhorizontal au pied des cuves de Sassenage). Cette atténuation des pendages atteste d'une inflexion synforme dont l'orientation ne se confond pas avec celle de la vallée de l'Isère mais s'oriente plutôt selon celle du Furon. Plus au sud, en amont d'Engins, la vallée du Furon reste dans le flanc est de la flexure des Engenières (qui détermine le plateau des Merciers et des Aiguaux), ce qui se manifeste par l'absence, d'une rive à l'autre, de pendage est-ouest des couches. En fait celles-ci s'abaissent progressivement vers le sud, comme en témoigne l'altitude doucement décroissante du sommet de la corniche calcaire du Sénonien dans les gorges supérieures du Furon. Même si le plongement axial que cela révèle est modeste (de l'ordre de 10%) il n'en reste pas moins, lui aussi, dirigé à l'opposé de la cluse de l'Isère.

2.2.5. Synclinal de Sassenage et du Cornillon

Ces deux tronçons de pli se correspondent très vraisemblablement car leurs axes sont orientés N15, c'est-à-dire exactement de la même façon que leur alignement d'une rive à l'autre. Ils ont en outre, l'un comme l'autre, leur flanc oriental rompu par les deux chevauchements, apparemment homologues, que sont respectivement celui de Sassenage et celui de Mont-Saint-Martin : ils semblent donc en représenter les crochons, mais on verra qu'à cet égard il faut peut être adopter une opinion nuancée.

Au Roc du Cornillon le synclinal plonge de plus de 20° vers la vallée et son fond est constitué, au niveau de la plaine alluviale, par l'Urgonien basal. Son prolongement, en rive gauche affecte au contraire, à Sassenage du Sénonien d'un niveau déjà assez élevé : compte tenu des épaisseurs des niveaux stratigraphiques intermédiaires, ceci indique que l'Urgonien basal doit se trouver ici au moins 400 m sous la surface des alluvions. La pente moyenne, entre ces deux points, qui en résulte pour son axe est de l'ordre de 5° vers le sud ; le fait que cette valeur soit plus faible que celle du plongement axial observable en rive droite résulte très probablement, comme pour la la flexure des Engenières, d'une simple atténuation progressive, vers le sud, de son plongement.

Plus au sud, les affleurements de molasse miocène des pentes du Pont-Charvet ne jalonnent pas l'axe du synclinal : ils appartiennent au flanc ouest du synclinal, et y sont coincés en biseau sous le chevauchement de Sassenage (fig. 2 et fig. 6). Aussi, l'accroissement d'altitude de ces affleurements, du nord vers le sud, ne saurait indiquer un relèvement de l'axe du synclinal dans cette direction, pas plus que ne le signifie celui, similaire, de la corniche sénonienne qui les supporte (l'élévation vers le sud de cette corniche, bien visible en rive droite du Furon, est simplement due, conformément au schéma du V topographique, à l'obliquité de l'entaille de ce cours d'eau par rapport à la direction des couches).

2.2.6. Anticlinal de Sassenage

L'axe de l'anticlinal de Sassenage ne saurait être mesuré directement mais sa construction, à partir des pendages des différents termes qui affleurent dans les pentes au sud de Sassenage, lui attribue un axe de direction N20, très faiblement incliné vers le sud.

L'examen de la disposition des couches nous a montré que l'Urgonien du flanc oriental de l'anticlinal de Sassenage se prolonge en Chartreuse par l'Urgonien de Rocheplaine. D'autre part il y a correspondance entre le synclinal de Sassenage et celui de Cornillon. De ce fait le pli de Sassenage ne peut se poursuivre qu'à l'ouest de la corniche urgonienne de Rocheplaine et des rochers de l'Église, et non à l'est du synclinal de Proveysieux, contrairement à ce qu'avaient admis la plupart des auteurs anciens. Il est tentant d'envisager qu'il se prolonge par la flexure de Génieux (fig. 2), qui a bien la même orientation. Mais on ne peut exclure non plus que sa voûte anticlinale urgonienne soit partout enlevée par l'érosion et ait suivi un tracé plus proche de celui de la faille de Mont-Saint-Martin (donc passant à l'ouest des Rochers de Chalves et de la Grande Sure).

Quoi qu'il en soit, l'Urgonien de Chartreuse occidentale ne subit pas d'inflexion antiforme avant une altitude d'environ 1600 m (rochers de l'Église), beaucoup plus forte que celle (750 m seulement) atteinte, à Sassenage, par les mêmes couches, à la voûte de l'anticlinal. Cela traduit un fort plongement d'axe du nord vers le sud, tout à fait conforme à celui manifesté par les autres plis environnants. L'absence, au sud de Sassenage, d'une inclinaison d'axe de valeur comparable, semble indiquer que la voûte de l'anticlinal subit aussi, en atteignant la rive gauche de la cluse, la même inflexion synforme que les plis avoisinants. Mais plus au sud, au moins jusque vers Saint-Nizier, on ne perçoit pas de relèvement d'axe puisque les pendages des couches restent plutôt faiblement inclinés vers le sud lorsqu'on les mesure à la voûte du pli (secteur des Guillets). Il faut atteindre la latitude de Villard-de-Lans (donc bien loin au sud de la cluse) pour que le prolongement probable de ce pli, ici constitué par l'anticlinal de la côte 2000 et de la Grande Moucherolle, montre un franc relèvement axial vers le sud.

2.2.7. Synclinal de Proveysieux

Comme l'ont souligné tous les auteurs, ce pli majeur de la Chartreuse présente un net plongement vers le sud, puisque le fond de son remplissage de molasse miocène atteint l'altitude de 1100 m au nord du col de la Charmette contre une valeur très inférieure (probablement de l'ordre de 0 à -200 m) à celle du niveau de la plaine, à Saint-Égrève. Notons que ceci ne confère cependant à l'axe du pli qu'un pendage de 7 à 8°, ce qui reste bien modéré, quoi qu'on en ait dit. Il est à noter que, jusqu'à peu de distance au nord de Saint-Égrève, les constructions d'axe (faites à partir des pendages dans la molasse miocène) donnent des valeurs de même ordre : encore que ces mesures ne soient guère fiables, en raison de l'abondance des litages obliques dans ce terrain, ceci semble indiquer que le plongement axial ne s'atténue pas sensiblement aux approches de la vallée alluviale.

Mais que devient ce pli en Vercors ? Contrairement à ce qu'admettaient les anciens auteurs (notamment Blanchard, 1941), les corrélations d'une rive à l'autre entre couches et entre axes des plis plus à l'ouest (voir plus haut) montrent qu'il n'y a aucun argument pour qu'il se prolonge par le synclinal de Villard-de-Lans. C'est au contraire dans le secteur de Fontaine que la direction de son axe conduit à rechercher son prolongement. On l'y trouve sans peine, sous forme de la large charnière synclinale, coffrée puis rebroussée du côté est à Fontaine, que dessine le Sénonien du Bois des Vouillants avant de s'enfoncer sous le Berriasien-Valanginien chevauchant des Perrières de Fontaine (Debelmas, 1965). De fait la variation transversale des pendages de la molasse miocène du synclinal de Proveysieux y conduit, au niveau du Sénonien, à un dessin très comparable (quoique un peu moins ouvert) (fig. 2) et il s'enfonce de façon similaire sous le chevauchement du Néron. Cette similitude structurale se retrouve d'ailleurs plus au sud, dans son prolongement ultime, le synclinal de la Fauge : le flanc oriental de ce dernier est affecté du même rebroussement (toujours dû au chevauchement du Moucherotte), depuis le rebord du plateau Saint-Ange (Pré du Four) jusqu'au Ranc des Agnelons.

Cette corrélation entre les deux rives fait cependant apparaître un net décalage horizontal (sénestre) de l'axe du synclinal (fig. 1) et surtout de son flanc est, ce qui est cohérent avec la plus ample ouverture du pli (fond plus large et pendage de son flanc ouest moins redressé). Elle implique surtout une remontée du Sénonien du fond du synclinal, qui, en rive gauche de la cluse, est porté quelques centaines de mètres au dessus de la plaine alluviale. Or, sur cette rive, l'axe du synclinal s'avère sensiblement horizontal (et n'est certainement pas plongeant vers le nord) : la conjonction de ces deux faits paraît donc suggérer l'intervention d'une cassure transverse (plutôt que d'un transsynclinal). Tout indiquant qu'aucune cassure n'affecte le flanc ouest du synclinal il faut admettre qu'elle s'amortit en traversant le coeur du pli (ce qui s'accorde bien avec le caractère plus ouvert que le synclinal présente au sud de l'Isère) et, par suite, qu'elle a plus probablement un rejet de coulissement (sénestre).

Ajoutons que si, plus au sud, l'axe de ce pli se relève fortement (d'à peu près 1000 m entre la cluse et la latitude de Villard-de-Lans), il ne semble pas que ce mouvement se manifeste avant le secteur de Saint-Nizier.

2.2.8. Synclinal du Néron

Son plongement vers le sud est visible de façon spectaculaire, car l'érosion a pratiquement dégagé une dalle structurale au coeur du pli. Il atteint plus de 20°, entre l'extrémité nord de la crête et le secteur du Muret et de Fiancey. Là il manifeste au contraire une diminution rapide de pendage, ce qui s'exprime en particulier par le fait que la falaise urgonienne de son flanc ouest devient horizontale bien que son orientation reste constante (cela ne résulte donc pas d'un changement d'intersection topographie - couches). Cette inflexion ne va pas jusqu'à l'inversion du sens de plongement, même si l'axe du pli se rapproche beaucoup de l'horizontalité à l'extrémité sud de l'éperon urgonien qui domine La Buisseratte. Il est difficile de préciser l'orientation (proche de NE-SW) de cette inflexion transverse, d'autant qu'elle semble s'amortir vers l'est sans affecter le flanc oriental du synclinal.

Du côté du Vercors il est invraisemblable de prolonger (comme le faisait R. Blanchard) le synclinal du Néron par le synclinal des Vouillants car ce dernier n'a pas le même dessin et ne s'inscrit pas dans un encadrement structural comparable. D'autre part une telle correspondance imposerait de trouver un prolongement à l'anticlinal de Sassenage dans le flanc ouest du Néron, où l'on n'observe rien qui puisse y ressembler. Enfin on ne voit aucune possibilité de faire passer un accident aussi important que le chevauchement du Moucherotte à l'est du Néron (voir plus loin).

En fait l'orientation axiale du synclinal du Néron l'amène grossièrement à passer dans le versant oriental du chaînon du Moucherotte, en restant ainsi à l'intérieur du prolongement de l'ensemble chevauchant de la Chartreuse orientale. Il est probable [Gidon, 1981a] que ce soit lui qui détermine, dans le secteur du plateau Saint-Ange, le ploiement synclinal de la surface du chevauchement de l'Épérimont. Quoi qu'il en soit, en ce qui concerne le point discuté ici, le fait est que les affleurements manquent totalement sur plus de cinq kilomètres, depuis la rive sud de la cluse jusqu'à ce point, et que cela interdit de déterminer quelle attitude pouvait y présenter l'axe de ce synclinal

2.2.9. Anticlinal de l'Écoutoux

Dernier pli entaillé par la cluse, l'anticlinal de l'Écoutoux, dont la voûte est totalement inaccessible à l'examen au niveau de la cluse (puisque enlevée largement par l'érosion) ne plonge pas vers Grenoble mais conserve le plongement vers le nord qu'on lui connaît en Chartreuse, jusqu'au-delà du col de Porte. C'est ce dont témoignent les linéations d'intersection schistosité - couches, qui ont partout, jusqu'à l'éperon de la Porte de France, une nette inclinaison vers le nord, de l'ordre de 20° (ceci est particulièrement clair dans les affleurements du square Cularo et du Parc L.Moret). Il est donc exclu d'envisager qu'une inflexion axiale ait pu affecter ce pli à l'emplacement de la cluse.

Quant au prolongement de ce pli au-delà de la cluse, la profonde érosion et le masque alluvial qui se développent, au sud de Grenoble, dans la zone où se dirige son axe empêchent toute observation.

 

3. - Géométrie des surfaces de failles

Les failles qui traversent la cluse sont des éléments de choix dans notre enquête car leurs surfaces sont des objets de géométrie relativement facile à définir et souvent mesurables sur le terrain.

3.1. Chevauchement de Voreppe

Cette grande faille montre une parfaite continuité d'une rive à l'autre si l'on adopte le pendage et l'azimut observables cartographiquement en rive droite (fig. 5). Il en est de même pour son satellite, le chevauchement de Sautaret, plus mineur mais dont l'attitude est très semblable [Blanc et al., 1993] : il se poursuit en rive gauche de façon analogue et avec la même rigueur d'azimut et de pendage, dans le chevauchement mineur qui affecte la montagne de la Cuche d'Ézy.

Le fait qu'aucun décalage ni torsion n'affecte donc ces accidents, d'une rive à l'autre, confirme qu'en aval d'une ligne Le Fontanil - Sassenage la cluse est vierge de tout accident d'importance notable.

3.2. Chevauchement de Sassenage et faille de Mont-Saint-Martin

L'analogie de position de ces deux accidents, vis-à-vis des plis subméridiens, telle qu'elle apparaît notamment sur les coupes de la cluse (fig. 2), porte à considérer qu'ils représentent un même accident secondaire du flanc oriental de l'aire anticlinale de la Chartreuse occidentale. De plus ils sont bordés du côté ouest par le synclinal de Sassenage et le synclinal du Cornillon, qui montrent toutes les apparences d'une continuité parfaite d'une rive à l'autre (voir ci-dessus). Ces chevauchements méritent cependant de conserver une désignation distincte car leur interconnexion ne découle pas à l'évidence des données sur l'attitude de leurs plans de cassure (fig. 5). Cs dernières sont, au demeurant, peu nombreuses et d'interprétation assez ambiguë :

- Pour le chevauchement de Sassenage, les mesures, qu'elles soient pratiquées le long de la conduite forcée qui suit sa trace topographique dans la falaise de Sassenage ou dans les gorges du Furon en aval d'Engins, donnent pour son azimut des valeurs N40 à N50 (avec des pendages de l'ordre de 50° SE), donc voisines de celles qui caractérisent le chevauchement de Voreppe : elles sont bien moins méridiennes que celles (N15) que supposerait son raccord avec la faille de Mont-Saint-Martin (ceci autoriserait même un raccord avec le chevauchement du Néron si ce dernier n'avait pas un azimut trop méridien pour cela). Cet azimut est également oblique par rapport à celui, toujours plus méridien, de l'anticlinal et du synclinal de Sassenage. Ceci se traduit d'ailleurs par le fait que le tracé du chevauchement l'amène, vers le sud-ouest, à recouper d'abord le plan axial du synclinal dans les pentes du Bois du Blanc (pentes occidentales de l'échine des Charvets) en s'engageant ainsi dans le flanc ouest du pli (fig. 2), puis à se rapprocher fortement de la flexure des Engenières, dans les gorges du Furon (fig. 1).

Toutefois il faut nuancer la portée de ces observations sur les azimuts par plusieurs remarques. La première est que, à Sassenage, le feuilletage mylonitique associé à la surface de cassure est plus méridien, puisqu'orienté N15 (ce qui traduit un mouvement oblique, à composante dextre, par rapport à la ligne de plus grande pente du plan de cassure). En second lieu, les valeurs fournies par les mesures locales précitées sont en désaccord avec celles, nécessairement plus proches de N10, qui découlent du tracé cartographique d'ensemble de l'accident entre Sassenage et le Furon. À cet égard, il apparaît, en tout état de cause (en dépit des difficultés d'exploration du terrain dues au couvert végétal), que ce tracé comporte, entre deux tronçons extrêmes (secteur des Cuves et secteur d'Engins) ayant une orientation N40 à N50, un tronçon intermédiaire (secteur du Bois du Blanc), qui les raccorde en baïonnette car il a un azimut beaucoup plus proche de N-S (une mesure directe, faite vers l'altitude de 650 m, a donné une orientation N15). Ce dernier tronçon serait donc à peu près orthogonal au mouvement (contrairement aux deux autres, dont la disposition vis-à-vis du mouvement les apparente à des rampes obliques).

Il semble donc que le chevauchement de Sassenage soit, lui aussi (à l'instar des chevauchements de Voreppe et de Sautaret), une cassure à composante de décrochement (un "décro-chevauchement"). On peut remarquer en outre que son obliquité par rapport aux plis subméridiens qu'il affecte est un argument en faveur d'un âge postérieur à la formation principale de ces plis (et notamment à celle de l'anticlinal de Sassenage) ; d'ailleurs l'absence de flanc inverse rebroussant, le long de la cassure, les couches chevauchantes de l'anticlinal de Sassenage semble plutôt parler dans le même sens.

- Pour la faille de Mont-Saint-Martin on ne dispose, depuis la plaine alluviale jusqu'à plus de 5 kilomètres vers le nord, d'aucun affleurement permettant une mesure directe de la surface de cassure (il faut, pour l'observer, aller plus au nord que Chalais). La cartographie ne permet pas non plus (par manque de recoupements topographiques multiples à altitudes identiques) de déterminer son azimut par les constructions géométriques habituelles. Elle indique cependant qu'un azimut de l'ordre de N40, associé à un pendage de l'ordre de 45°, rendrait bien compte de son tracé entre le secteur du Pas de l'Ane et le bas du versant, au Cornillon. Or de telles caractéristiques, proches de celles des tronçons obliques du chevauchement de Sassenage, ne permettent pas un raccord simple, à travers la cluse, avec ce dernier. Un tel raccord est par contre possible s'il a lieu par l'intermédiaire d'un tronçon plus méridien, comparable à celui du Bois du Blanc dans les pentes des Charvets. Cette hypothèse n'est pas sans fondement puisque, plus au nord, dans les pentes au nord du Pas de l'Ane, le tracé du chevauchement (fig. 5) indique qu'il comporte encore un autre tronçon de ce type, en forme de rampe méridienne plus redressée (c'est d'ailleurs vraisemblablement l'extrémité nord de cette rampe que l'on observe dans la coupe de la rive gauche du ravin de la Roize).

Au total, les deux chevauchements de Sassenage et de Mont-Saint-Martin se font remarquer par des variations assez brutales de l'attitude de leurs surfaces de cassure (dont l'origine semble liée à un jeu en décro-chevauchement, mais serait intéressante à mieux éclaircir). Ce caractère parait suffisant pour rendre compte des particularités de leur traversée de la cluse, sans qu'il soit nécessaire d'envisager une cassure transverse, que les autres structures encadrantes ne suggèrent nullement (comme cela avait été admis sur le schéma structural de la 2° édition de la carte géologique).

3.3. Chevauchement de la Chartreuse orientale

Son attitude est bien définie grâce au fait que la cartographie permet de le suivre avec une assez bonne précision, sur plusieurs kilomètres, au flanc ouest du Néron et sur les deux rives de l'entaille de la cluse de la Vence (fig. 5) : il y garde un azimut proche de N30.

Il est bien difficile de retenir l'hypothèse, adoptée par Blanchard [1941], de son prolongement en Vercors par le chevauchement de Sassenage (bien que le tracé de celui-ci ne soit décalé que d'un kilomètre vers le nord-ouest). Outre que leurs azimuts ne s'accordent guère, le dernier de ces chevauchements n'est qu'un accident mineur, dont l'ampleur de déplacement n'est pas comparable, et surtout qui ne montre pas la même organisation structurale dans son compartiment chevauchant. Enfin, dans cette hypothèse le chevauchement du Moucherotte devrait se prolonger à l'est du Néron, où l'on ne trouve, jusqu'à la Bastille, qu'une succession normale de couches à pendage vers l'ouest (à moins d'admettre qu'il subisse un amortissement total à l'occasion des quelques kilomètres de la traversée de la cluse). En fait le prolongement du chevauchement de la Chartreuse orientale ne saurait guère être représenté que par le chevauchement du Moucherotte, qui présente effectivement des caractères comparables de structure trés tangentielle et une structure du compartiment chevauchant cohérente avec celle de la Chartreuse orientale.

Cependant, compte tenu de son azimut N30 du tracé cartographique de cet accident majeur, cette interprétation implique qu'il soit décalé de près de 2 kilomètres vers le sud-est, à la traversée de la cluse. Cela peut s'expliquer soit par un relèvement (faille à rejet vertical) soit par un décrochement sénestre. L'hypothèse d'un accident de ce dernier type est, a priori, d'autant plus plausible que l'orientation de la cluse, nord-ouest - sud-est, correspond à celle des décrochements de la famille sénestre de Chartreuse et que le synclinal de Proveysieux nous a paru pouvoir être aussi affecté d'une cassure de ce type.

Ces considérations ne suffisent néanmoins pas à rendre compte de toutes les caractéristiques de ce secteur de la cluse. En effet, sur quelques kilométres en rive gauche, dans le secteur compris entre la plaine de l'Isère (Les Perrières de Fontaine) et le Mas Mionnet (à l'ouest de Seyssinet), les marnes de Narbonne reposent bien sur du Sénonien rebroussé, comme il convient au prolongement du chevauchement de la Chartreuse orientale. Mais au delà, jusqu'aux Trois Pucelles, la dislocation qui sépare les pentes du Moucherotte du plateau de Saint-Nizier - Fontaine ne correspond plus à une surface de chevauchement : il s'agit là au contraire d'une cassure très redressée [Debelmas, 1965], la faille des Bruziers (fig. 1), qui est oblique à l'azimut général du plan de chevauchement puisque dirigée environ N80. Or cet accident a tous les caractères d'une déchirure décalant le front du chevauchement dans le sens dextre [Gidon, 1981a]. Son rejet, en quelque sorte extensif par rapport à l'orientation NNE-SSW des plis, a donc nécessairement introduit un hiatus important dans la continuité de la barre urgonienne entre le Néron et le Moucherotte.

Cette circonstance a pu être déjà, en soi, un facteur non négligeable dans la détermination de l'implantation de la vallée. En outre il est vraisemblable que la faille des Bruziers devait se croiser avec l'hypothétique faille de la cluse. Le fait que ceci devrait se produire précisément dans le secteur de l'entrée amont de la cluse tend à faire penser que ce dernier à pu devenir ainsi un point géomorphologiquement stratégique où la résistance à l'érosion devait être particulièrement affaiblie.

 

4. - Les hypothèses structurales

A la lumière de ce qui vient d'être exposé selon un plan analytique on peut maintenant examiner les hypothèses qui ont été avancées pour soutenir l'idée d'une origine tectonique de la cluse de Grenoble.

4.1. L'hypothèse d'une faille de la cluse de l'Isère

4.1.1. Données tirées de la comparaison des deux rives

Si l'on récapitule, depuis l'aval vers l'amont, par tronçons structuraux successifs, les données fournies par la comparaison entre les deux rives de la cluse, et si on les examine sous l'angle de l'éventuelle présence d'une cassure masquée le long de la cluse, les résultats qui se dégagent sont les suivants :

1 - La partie jurassienne de la cluse, entre sa sortie et le chevauchement de Voreppe, présente tous les indices d'une totale absence de cassure orientée selon son tracé. On notera par ailleurs qu'en aval de Voreppe, où passe le décrochement de la "faille des Balmes", le tracé de la cluse ne s'infléchit aucunement pour se rapprocher de la direction de cet accident : ceci n'incite pas à donner à des cassures transverses hypothétiques un rôle dans le choix de l'emplacement originel de la vallée, puisque celles existantes n'en ont apparemment pas.

2 - La traversée de la Chartreuse occidentale correspondrait, selon le schéma structural de la 2° édition de la carte géologique [Gidon et Arnaud, 1978] au passage d'une faille. Ce secteur présente deux tronçons dont les caractères sont différents sous l'angle qui nous intéresse ici :

- Dans le tronçon aval, situé en aval de l'axe du synclinal Cornillon - Sassenage, c'est à dire de Voreppe au Fontanil (en rive droite) et de Veurey à Sassenage (en rive gauche) le recours à un décrochement semblerait se justifier pour expliquer le décalage que présentent les niveaux stratigraphiques, d'une rive à l'autre, si on les compare transversalement à la cluse. En réalité cet effet résulte du changement d'azimut et de pendage des couches induit par la flexure des Engenières, ainsi que de la faible obliquité de celle-ci par rapport à la cluse (fig. 4).

- Dans la partie la plus orientale de la Chartreuse occidentale, c'est-à-dire entre la ligne Cornillon - Sassenage et le flanc ouest du synclinal de Proveysieux, l'hypothèse d'un décrochement qui décalerait dans le sens sénestre les deux tronçons du chevauchement Sassenage - Mont-Saint-Martin se justifiait par le fait que la ligne de raccord entre ces deux plans de faille, à travers la cluse, est plus méridienne que l'azimut des plans de cassure mesurables sur les rives de la cluse. Mais, comme on l'a vu, ceci est sans doute l'effet d'une sinuosité de leur surface de chevauchement. En outre la présence d'un tel décrochement y paraît bien peu vraisemblable, car son tracé devrait alors se limiter à cette très courte partie de la transversale, dès lors qu'il n'y a aucune évidence d'un tel accident, ni à l'ouest du chevauchement (synclinal de Sassenage-Cornillon), ni au niveau du flanc est de l'anticlinal de Sassenage.

L'idée d'un accident qui se manifesterait par une désolidarisation tectonique de la Chartreuse par rapport au Vercors (Veyret, 1955 et 1956) est donc sans fondements ; elle était en fait surtout suggérée par les différences géomorphologiques entre les deux massifs, le premier montrant notamment beaucoup plus d'inversion de relief que le second. Ce dernier fait est lié d'une part à ce que, seule ou presque, la partie occidentale de la Chartreuse, qui a le relief le plus jurassien, se poursuit en Vercors et, d'autre part, à ce que, dans ce dernier massif, l'altitude plus faible qu'y atteignent en général les voûtes anticlinales a permis à la carapace urgonienne d'y échapper à l'arasement anté-quaternaire (à l'opposé de ce qui se passe en Chartreuse).

3 - La traversée du synclinal de Proveysieux et de la partie frontale de la Chartreuse orientale, en amont de Saint-Égrève, correspond par contre à un secteur d'indéniable perturbation dans la continuité nord-sud des structures. Ici l'hypothèse du passage d'une déchirure sénestre, orientée selon l'axe de la cluse, paraît pouvoir être retenue car elle expliquerait bien le véritable hiatus structural entre les deux rives. Toutefois la présence de cet "accident de la cluse" est purement théorique et l'on évalue mal, d'autre part le rôle, peut-être capital, qu'a pu jouer dans la genèse de ces perturbations transverses le passage de la déchirure E-W, bien réelle celle-là (la faille des Bruziers), qui affecte le chevauchement de la Chartreuse orientale sur cette même transversale.

L'idée d'un accident qui se manifesterait par une désolidarisation tectonique de la Chartreuse par rapport au Vercors est donc sans fondements ; elle était en fait surtout suggérée par les différences géomorphologiques entre les deux massifs, le premier montrant notamment beaucoup plus d'inversion de relief que le second. Ce dernier fait est lié d'une part à ce que seule ou presque la partie occidentale de la Chartreuse, qui a le relief le plus jurassien, se poursuit en Vercors et, d'autre part, à ce que, dans ce dernier massif, l'altitude plus faible qu'y atteignent en général les voûtes anticlinales a permis à la carapace urgonienne d'y échapper à l'arasement anté-quaternaire (à l'opposé de ce qui se passe en Chartreuse).

4.1.2. Données tirées des observations locales sur les rives

L'hypothèse d'une faille de la cluse pourrait d'autre part trouver des fondements dans le fait que le bedrock des rives immédiates de la vallée alluviale montre différentes fractures, orientées nord-nord-ouest - sud-sud-est. Celles-ci peuvent, à ce titre, prétendre appartenir à un système qui aurait joué un rôle dans la détermination du tracé de la cluse. Elles se répartissent en trois groupes :

1- Les failles de la Bastille

Ces cassures, mises en évidence par Barbier et Debelmas (1960) avaient été considérées par ces auteurs comme éventuellement liées à la création de la cluse. En fait elles se sont révélées avoir une forte composante de chevauchement [Gidon, 1981a] et n'ont donc pas un caractère compatible avec ce rôle. D'autre part leur azimut est tel qu'elles sont en définitive bien moins méridiennes que la trouée de la cluse.

2- Les failles du Fontanil

Ces failles sont en fait un peu plus méridiennes que la cluse mais l'écart ne peut être considéré comme significatif. Leur direction est analogue à celle de l'hypothétique accident coulissant de la cluse, mais leur rejet est modeste, hors de proportion avec celui de cet accident,et essentiellement vertical, donc sans rapport avec celui, sénestre, de ce dernier : elles ne sauraient donc le prolonger. Par ailleurs, si leur jeu est bien d'origine tectonique, leur rejet apparent est ausssi largement amplifié par des phénomènes de tassement du flanc de vallée.

3-Les failles des environs de Voreppe

La molasse miocène de Gachetière, au sud-est de Voreppe, où sont creusées les carrières servant de champignonnières montre plusieurs crevasses subverticales dont plusieurs sont béantes. D'autres crevasses affectent l'Urgonien et sont obturées de débris : tel est le cas en rive droite, à la Poste de Voreppe ("Trou aux Loups") et, en rive gauche, au quartier de Morestel, au nord de Veurey.

On pourrait envisager que ces cassures extensives ouvertes, qui se localisent à proximité des rives de la plaine alluviale, témoignent de la présence d'un faisceau de failles d'extension, masqué sous la plaine alluviale et émergeant ici sur ses deux rives. Mais elles délimitent en fait des panneaux qui sont abaissés du côté de la vallée et l'on se convainc aisément qu'il s'agit beaucoup plus probablement de banales fractures de tassement, comme pour les paquets glissés multiples qui affectent le Berriasien des pentes au nord du Fontanil (quartier des Ouillères). Leur localisation suggère qu'elles sont plus précisément dues à la décompression induite par la fonte du glacier würmien de la vallée. De plus l'on voit mal pourquoi l'emplacement précis de cette vallée correspondrait à une zone de particulière extension dans le sens méridien : au contraire les traces d'une extension longitudinale au dépens du système des plis subméridiens se manifestent au voisinage, soit par une fracturation extensive fine (d'espacement décimétrique) qui est alors orientée plus E-W (en moyenne N110), soit par des décrochement NE-SW qui tendent à devenir plus rares au sud de la cluse. D'autre part les pivotements des axes de plis, qui ont été décrits comme vraisemblablement associés au déplacement sur le chevauchement de Voreppe [Gidon, 1964], suggèrent plutôt que l'axe de la cluse correspondrait, au contraire, à un secteur en compression longitudinale, puisque situé à la corde d'une arcature (convexe vers l'ouest) du système des chevauchements.

Au total ces observations montrent que les tronçons de petites cassures observables le long de la cluse sont bien modestes et disparates : la diversité même de leurs caractères montre en tout cas qu'ils sont sans rapports entre eux et qu'il est impossible de les interconnecter. Ces cassures ne sauraient donc être considérées comme des branches latérales d'une grande faille qui parcourerait la cluse de bout en bout.

4.2. L'hypothèse d'un ensellement transaxial des plis N-S

4.2.1. Bilan des observations

Si l'on fait le bilan de la comparaison des deux rives de la cluse, depuis l'aval vers l'amont, par tronçons structuraux successifs, on dégage à cet égard les résultats suivants :

1 - La partie jurassienne de la Cluse, entre sa sortie et le chevauchement de Voreppe, montre au contraire une culmination de l'anticlinal du Ratz, sans doute en liaison avec le passage du transanticlinal de Charminelle (fig. 1). Le choix qu'a fait la cluse de s'emplacer à cet endroit est donc particulièrement paradoxal et contraire à la théorie Ce fait tend, en tous cas, à faire repousser toute idée d'une cluse s'entaillant par érosion remontante.

2 - La portion de la Cluse qui traverse la Chartreuse occidentale est formée de deux tronçons très distinct du point de vue qui nous intéresse.

a) En aval de l'axe du synclinal Cornillon - Sassenage tout montre qu'aucune des structures de l'une des rives n'est décalée ni tordue par rapport à son prolongement sur l'autre rive : les couches manifestent par contre, d'une rive à l'autre, une inflexion nette (fig. 4) qui poursuit celle visible sur l'une et l'autre des deux rives et n'est autre que celle liée au passage du fond au flanc ouest du synclinal de Villard-de-Lans. La seule structure transaxiale est une atténuation progressive, au voisinage de la cluse, du plongement axial (vers le sud) de ce pli méridien. Mais celle-ci ne va pas jusqu'à inverser ce plongement et aboutir à une remontée symétrique de son axe sur la rive du Vercors. De plus elle est plutôt orientée NE-SW, donc nettement oblique à l'allongement de la cluse.

En fait, passagèrement, le tracé de la cluse se confond approximativement là avec celui du fond du synclinal de Villard-de-Lans (fig. 4) et sa rive gauche, entre les carrières de Pra Paris et les pentes de la Cuche, coïncide à peu près avec l'enchaînement des deux flexures de Noyarey et des Engenières, qui constituent le flanc ouest de ce synclinal. La présence de ces flexures se traduit par une réelle plongée des couches vers la vallée, ce qui peut faire croire à une remontée des axes en rive gauche (cet effet trompeur est simplement dû à la faible obliquité que présente ici la cluse, vis-à-vis des plis subméridiens qui la traversent, et non à un ensellement de ceux-ci par des plis transverses).

b) Dans la partie la plus orientale de la Chartreuse occidentale, c'est à dire celle comprise entre la ligne Cornillon - Sassenage et le flanc ouest du synclinal de Proveysieux, l'hypothèse d'un ensellement est totalement contredite par la rectilinéarité exemplaire du prolongement des surfaces de couches d'une rive à l'autre (fig. 4).

3 - Pour la partie amont de la Cluse, c'est à dire celle qui traverse le front de la Chartreuse orientale, on ne peut que s'égarer en raisonnant, comme le faisait Blanchard, sur un prolongement du synclinal de Proveysieux par celui de Villard-de-Lans. La comparaison entre les deux rives révèle que le fond du synclinal de Proveysieux est porté à plus haute altitude en rive gauche, dans le secteur des Vouillants de Fontaine, qu'en rive droite. Ceci paraît toutefois difficilement imputable à une simple ensellure du pli car ce dernier ne montre pas d'inversion de son plongement axial. Il faut beaucoup plus vraisemblablement y voir un des effets de la cassure sénestre que semble ici masquer la vallée alluviale.

4.2.2. Conclusion sur la question des plis transaxiaux

Pour Blanchard (1941), qui s'en était fait le champion (comme pour les autres cluses subalpines), l'hypothèse suivant laquelle la cluse empruntait un transsynclinal était considérée comme aisément démontrable. Bien que cette opinion ait généralement prévalu l'analyse ci-dessus montre qu'elle manque sérieusement de bases objectives et qu'elle est contredite par plusieurs considérations :

1- Tout d'abord l'abaissement d'axe des pli chartreux ne concerne que la portion médiane de la cluse située entre Voreppe et la transversale de Sassenage - La Buisserate : en amont, l'anticlinal de l'Écoutoux continue à s'élever vers le sud ; en aval de Voreppe, les axes culminent plutôt à l'emplacement de la cluse. Cet abaissement d'axe est en outre moins accentué qu'il n'y parait de prime abord, car, sauf au Cornillon et au Néron, les effets de "V topographique" en éxagèrent l'empreinte géomorphologique. Il est d'ailleurs clairement lié, au moins pour la partie de la cluse située entre Voreppe et le Fontanil, au transanticlinal de Charminelle qui passe peu au nord de la cluse mais a une orientation NNE-SSW très oblique à cette dernière.

2- Ensuite, même sur la partie médiane, déjà restreinte, du cours de l'Isère qu'il concerne on ne peut mettre en évidence nulle part un changement du sens de plongement des axes des plis subméridiens de part et d'autre de la vallée alluviale : aucun des plis du Vercors ne plonge en effet vers la cluse et tous ont un axe plus ou moins incliné vers le sud (parfois fortement). Même sur la transversale Saint-Égrève - Sassenage, où il y a une forte atténuation de leur plongement, la cluse ne coïncide pas avec le point bas d'un ensellement, car la remontée symétrique des axes ne se fait que plus au sud, en Vercors. Ainsi le mouvement transaxial qui intéresse les plis subméridiens de la Chartreuse occidentale et du Vercors, au voisinage de la transversale de Sassenage, représente plus une flexure, à charnière d'ailleurs très ouverte, qu'un véritable transsynclinal qui occasionnerait le changement du sens de plongement de ces plis.

Le tracé de cet accident transverse est difficile à définir avec précision. Il a certainement d'une orientation proche de NE-SW, à tel titre qu'il semble affecter le synclinal du Néron, en Chartreuse orientale et passer en Vercors à l'ouest de Sassenage pour s'éloigner assez fortement vers le sud du rebord septentrional du massif pour affecter peut-être l'anticlinal de Sornin vers Plénouze, mais plus probablement gagner vers les abords de Villard-de-Lans (dont il détermine sans doute la situation particulière, au coeur d'une petite cuvette molassique). C'est dire qu'il coupe en biseau les plis des deux massifs de la Chartreuse et du Vercors, avec une orientation qui n'est pas vraiment transverse aux axes des plis mais seulement un peu moins méridienne qu'eux. Au demeurant cette flexure ne saurait expliquer l'orientation de la cluse puisque, en définitive, elle la traverse presque perpendiculairement.

Cette structure oblique est vraisemblablement attribuable à une déformation tardive liée aux rejeux tectoniques déclenchés par le soulèvement (chevauchant ou non) de la chaîne de Belledonne, dont elle possède sensiblement l'orientation [Gidon, 1981b]. Elle est sans doute en rapport avec la famille des plis transaxiaux qui sont observables plus au nord en Chartreuse [Gidon, 1994] et jusque dans les Bauges [observations inédites], et pose en tous cas des problèmes de chronologie analogues.

3- Enfin, entre Voreppe et Sassenage, l'obliquité de la cluse, vis-à-vis des plis subméridiens, devient très faible. du côté Vercors, les couches plongent franchement vers la vallée, le long de la bordure de cette dernière, car elles appartiennent là au flanc oriental, redressé, du synclinal de Villard-de-Lans. Sur l'autre rive le pendage, plus modéré, est aussi plus oblique à l'axe de la cluse, car il correspond plutôt au plongement axial que manifeste le fond de ce synclinal (fig. 4). Au total ces pendages, plutôt convergents vers la vallée, ne traduisent aucunement une remontée axiale due à un pli transverse mais la disposition des deux flancs d'un pli subméridien, dissymétrique et plongeant vers le sud. En bref le tracé de la vallée se confond grossièrement ici avec celui du fond du synclinal de Villard-de-Lans (soit dit au passage, elle y est donc plus proche d'un val que d'une cluse )

Ce fait peut porter à envisager que ce synclinal ait pu, par son évidement, jouer alors le rôle d'une sorte de gouttière structurale susceptible d'héberger le cours de la rivière. Mais on a cependant peine à croire que la présence de ce pli ait pu diriger ce cours, surtout si l'on considère que son plongement axial, vers le sud, va à l'opposé du sens d'écoulement de la rivière. D'autre part son orientation (nettement plus méridienne que celle de la cluse dans son ensemble) interdit de penser qu'il ait fait autre chose que d'en dévier un cours déterminé par d'autres facteurs.

En définitive il faut conclure que l'hypothèse suivant laquelle la cluse a pu être guidée par un ensellement des plis relève plus de l'illusion d'optique (fig. 2) que d'une observation correcte des données structurales.

 

5.- Conclusions

L'examen des données géologiques n'apporte finalement que bien peu d'arguments à l'hypothèse d'une origine structurale de la vallée de l'Isère en aval de Grenoble, que ce soit sous l'angle des raisons qui l'ont conduit à prendre son orientation ou sous celui des causes de son implantation à cette transversale des massifs subalpins.

5.1. Absence de déterminisme tectonique de l'orientation de son tracé

1 - L'origine de l'idée selon laquelle la cluse serait axée sur un ensellement des plis subméridiens qu'elle traverse est sans doute à chercher, au-delà de son caractère préconçu, dans la faible obliquité d'une partie de la cluse par rapport à ces plis subméridiens, ce qui est à la base d'une mauvaise interprétation des variations de pendage des couches entre ses deux rives, et au fait que le plongement axial des plis vers le sud, très visible sur le versant chartreux, devient moins accentué et surtout moins perceptible dans le paysage sur la rive Vercors.

Il reste que le plongement axial que manifestent ici la plupart des plis subméridiens est de sens opposé à celui (dirigé vers le nord) qui prévaut, plus au nord, sur tout le bord subalpin d'Albertville à Grenoble ; il s'oppose aussi à la disposition hésitante (sans direction de plongement prédominante) qui s'instaure, plus au sud, dans le Vercors au sud de la Bourne. Cela trahit donc le passage, aux environs sud-occidentaux de Grenoble, d'une sorte de frontière structurale, grossièrement assimilable à un large ensellement NNE - SSW des plis subméridiens, sur laquelle on peut s'interroger. Pour autant cette entité structurale est bien trop floue pour avoir pu jouer un rôle autre que dérisoire lorsque l'Isère a commencé à entailler sa cluse, et surtout son orientation, presque transverse à la cluse, lui interdit d'avoir le moindre rapport avec la formation de celle-ci.

2 - La recherche d'accidents cassants, cachés sous les alluvions de la cluse, et notamment de décrochements analogues à ceux connus dans les massifs voisins, a un résultat presque aussi négatif : en effet, sauf pour la partie amont de la vallée, les coordinations entre structures et surfaces de couches des deux rives n'en imposent aucun et montrent, sur plusieurs transversales, leur improbabilité.

3 - En fin de compte la seule hypothèse que l'on ne puisse formellement écarter pour attribuer à la cluse un tracé d'origine tectonique serait d'admettre qu'elle emprunte une ligne de faiblesse liée à un système de crevasses distensives masquées sous la plaine alluviale. Mais on a vu que celles que l'on y observe sont la conséquence de l'ouverture de la vallée et non sa cause, de sorte qu'envisager cette hypothèse reste totalement gratuit.

5.2. Faible probabilité d'un déterminisme tectonique de son implantation

La présence, à l'entrée amont de la cluse, d'une faiblesse structurale, probablement liée à un entrecroisement de fractures entre l'hypothétique faille de la cluse et la faille des Bruziers, est, par contre, un fait dont le rôle morphogénétique paraît vraisemblable. On peut penser, en effet, que cette circonstance a pu inciter l'érosion à concentrer en ce point son attaque sur la barrière du rebord subalpin, avant de progresser vers l'aval. Mais on peut cependant douter que ceci ait pu jouer un rôle suffisamment décisif, si l'on considère l'absence d'influence qu'ont eu, au contraire, les trois grands décrochements qui affectent, en Chartreuse, le bord subalpin. Bien que ceux-ci soient d'importance comparable et, en outre, traversent le massif presque de part en part, ils n'ont pourtant déterminé aucune cluse, ni dans ce rebord, ni plus à l'ouest. Bien au contraire, les deux cluses du Guiers Mort et du Guiers Vif ont une direction pratiquement orthogonale à l'axe d'allongement du chaînon de Belledonne, c'est à dire nettement oblique aux décrochements, et se révèlent ainsi indifférentes à toute influence structurale (c'est même au voisinage des culminations de plis, plutôt que de leurs ensellements, qu'elles coupent les plis subméridiens).

5.3. Une cluse purement épigénique ?

Ces dernières considérations incitent à examiner l'hypothèse suivant laquelle le cours de ces cluses n'aurait aucune origine tectonique et aurait été déterminé par une surimposition à partir d'une surface topographique ancienne, sur laquelle les structures tectoniques (qui jouent surtout leur rôle morphogénique au niveau de la série diversifiée des terrains mésozoïques) n'apparaissaient pas encore. À la surface d'une telle topographie les écoulements au flanc de la chaîne alpine devaient se répartir presque aléatoirement et tendre à suivre une ligne de plus grande pente, donc avoir un cours grossièrement orthogonal à l'axe d'allongement de ses lignes faîtières (fig. 7).

Ces caractéristiques devaient être celles des fleuves néogènes qui descendaient depuis la chaîne naissante vers la mer périalpine. Effectivement l'étude du delta miocène du Bas Dauphiné a montré [Bocquet, 1966] que le tracé adopté par le fleuve qui l'a édifié était déjà à peu près celui de l'Isère quaternaire. De plus, au Néogène, les structures des massifs subalpins devaient être bien incapables d'influer sur le tracé d'un cours d'eau, car elles n'étaient qu'ébauchées et avaient subi, d'autre part, avant la transgression miocène, un aplanissement des reliefs faisant table rase des structures déjà existantes. Plus tard l'ennoyage de ces structures sous les dépôts molassiques, puis un nouvel aplanissement du relief, sans doute vers le Villafranchien [Gidon, 1994], ont dû faire perdurer ce genre de topographie presque vierge de traces d'origine structurale. L'idée d'une épigénie du cours de l'Isère, sans pilotage structural, à partir d'un tracé remontant au Néogène, ne semble donc pas dénuée de fondement : le caractère tardif, par rapport à l'implantation de cette rivière, de son encaissement en travers des structures de la série mésozoïque en devient assez vraisemblable, et cela rend intellectuellement plus satisfaisant le résultat négatif de notre quète d'une mythique structure transverse directrice.

Pourtant il demeure que l'orientation de la cluse de Grenoble est notablement plus méridienne que celle des deux cluses du Guiers Mort et du Guiers Vif, en Chartreuse, ou pis encore, que celle de la Bourne, en Vercors. Par rapport à ces dernières elle témoigne, à l'instar de celles de Chambéry, d'Annecy, de l'Arve et du Rhône, d'une déviation de son azimut moyen qui excède 20° dans le sens horaire (il est à noter que les deux cluses internes à la Chartreuse présentent également une telle déviation dans leur cours aval, à la traversée du chaînon de la Chartreuse occidentale). C'est sans doute là un fait très significatif mais qui, dans aucun de ces exemples, ne semble s'expliquer par une particularité structurale bien définie : il faut donc sans doute lui chercher une raison liée à un fait plus général, se rapportant à l'ensemble des massifs subalpins. On peut ainsi envisager, par exemple, l'hypothèse d'un effet morphologique d'un cisaillement longitudinal dextre, qui aurait dévié, à une étape relativement précoce de la morphogenèse, le cours des vallées les plus anciennement implantées. Cette hypothèse n'est pas fondamentalement en désaccord avec les connaissances sur la genèse de la structure de ces massifs, compte tenu du rôle qu'y jouent tardivement les décrochements dextres. Mais elle implique, entre autres difficultés, que la plupart des cluses intérieures aux massifs subalpins, comme celles de la Bourne, des deux Guiers, du Fier, de la Clusaz et du Giffre, toutes de tracé plus orthogonal à la faîtière de Belledonne (à la différence d'ailleurs de celles du Chéran et du Borne), soient de formation plus tardive que celles limitant ces massifs : ces dernières pourraient donc être miocènes et les autres post-miocènes, ce qui, sans être vraiment improbable, reste cependant à étayer

Quoiqu'il en soit on retiendra que le bilan des faits d'observation ne met en évidence aucun accident tectonique notable qui corresponde au tracé de la cluse, de sorte que celle-ci, en toute rigueur, ne peut donc être qualifiée de vallée "structurale". Mais si le choix de l'emplacement de la cluse découle donc vraisemblablement de celui de l'ancien cours miocène de l'Isère deux questions subsistent : 1 - pourquoi ce cours, lui-même, s'était-il fixé sur cette transversale aux massifs subalpins ? ; 2 - pourquoi, après l'épisode d'aplanissement qui semble avoir précédé l'érosion quaternaire, lequel aurait dû rendre de nouveau aléatoire le choix d'un nouveau cours, l'Isère s'est-t-elle encaissée sur cette même transversale ?

 

PUBLICATIONS CITÉES

Barbier R. & Debelmas J. (1960). - La structure du chaînon Bastille-Jalla-Mont Rachais près de Grenoble. C.R.A.S., séance du 28 mars, p. 2593-2595.

Blache J. (1931). - Le relief des massifs de la Grande-Chartreuse et du Vercors. - R.G.A. t. XIX, fasc. 2, p. 212-472 et fasc. 3, p. 547-673.

Blanc E., Gidon M. Arnaud H. & Arnaud-Vanneau A. (1993). - Les complexités tectoniques de la carrière de Sautaret, près de Voreppe, et leurs implications sur la stratigraphie détaillée du Berriasien inférieur de la Chartreuse occidentale. Géologie alpine, t.69, p. 21-32.

Blanchard R. (1941). - Les Alpes occidentales, t.II : Les Cluses préalpines et le Sillon alpin, p.15-33. Arthaud, Grenoble.

Bocquet J. (1966). - Le delta miocène de Voreppe. Étude des faciès conglomératiques du Miocène des environs de Grenoble. T.L.G. 1966, t 42, p.53-75.

Debelmas J. (1965). - Quelques observations nouvelles sur l'extrémité nord-orientale du massif du Vercors. Trav. Lab. Géol. Grenoble t.41, p. 275-281.

Gidon M. (1964). - Nouvelle contribution à l'étude du massif de la Grande-Chartreuse et de ses relations avec les régions avoisinantes. Travaux du Laboratoire de Géologie de l'Université de Grenoble, t.39 (1964), p.187-205.

Gidon M. (1981a). - La structure de l'extrémité méridionale du massif de la Chartreuse aux abords de Grenoble et son prolongement en Vercors. Géologie alpine, t.57, p. 93-107.

Gidon M. (1981b). - Les déformations de la couverture des Alpes occidentales externes dans la région de Grenoble; leurs rapports avec celles du socle. C.R.Acad.Sc. Paris, t.292 (6 avril 1981), série II, p. 1057-1060

Gidon M. (1994). - Quelques aspects des rapports entre l'histoire tectonique et la morphogenèse dans le massif de la Chartreuse. Géologie alpine, t.70, p. 13-27.

Gidon M. & Arnaud H. (1978). - Carte géologique détaillée de la France à 1/50.000°, feuille GRENOBLE, 2° édition. - B.R.G.M., Orléans, une carte avec notice explicative de 32 p. et 4 planches hors-texte.

Gignoux M.et Moret L.(1952). - Géologie dauphinoise, 2° éd. - Masson, Paris

Lugeon M. (1901). - Recherches sur l'origine des vallées de Alpes occidentales. Annales de Géographie, X, p.295-317 & 401-428.

Veyret P. (1955) - Les réseaux hydrographique de la Chartreuse et du Vercors (Préalpes du Nord) à la lumière des idées tectoniques nouvelles. Rev. Géogr.Alpine, t.43, fasc.4, p. 697.

Veyret P. (1956) - La cluse de Grenoble: contribution à l'étude du relief plissé, Rev. Géogr.Alpine, t.44, p. 297-310.

 

 

Remerciements :

Je sais gré à MM. Jacques Debelmas et François Longeot d'avoir eu l'obligeance de lire mon manuscrit et de m'avoir fait des remarques avisées à son sujet .

 

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figure agrandissable

Fig. 1 - Le cadre structural de la cluse de l'Isère, en aval de Grenoble.

Cette carte schématique situe les différents accidents que traverse la cluse. Les plis sont représentés par les traces topographiques de leurs plans axiaux : leur dessin n'a pas un caractère rigoureux et a surtout valeur de localisation et de support à la nomenclature.

Liste des abrégés désignant (sur les figures 1 et 2) les accidents, dans l'ordre où on les rencontre successivement, du nord-ouest au sud-est. Les symboles entre parenthèses, précédés de "=", indiquent les correspondances (d'une rive à l'autre) qui sont seulement très vraisemblables (voir discussions dans le texte) :

aR = anticlinal du Ratz (charnière en genou de La Buisse) ; FB = faille des Balmes (du Ratz ); fM = flexure de la Dent de Moirans (flanc est de aR); fP = flexure de la Poste de Voreppe (flanc ouest de sV) ; sV = synclinal de Voreppe ; cV = chevauchement de Voreppe ; aE = anticlinal des Égaux (= anticlinal frontal de la Chartreuse occidentale) ; sA = synclinal d'Autrans ; cS = chevauchement de Sautaret ; aSo = anticlinal de Sornin ; fN = flexure de Noyarey (flanc est de aSo); fE = flexure des Engenières ; FF = failles du Fontanil ; fVa = flexure de la Grande Vache ; sSa = synclinal de Sassenage (= sC) ; sC = synclinal du Cornillon (= sSa) ; cSa = chevauchement de Sassenage (= cM) ; cM = chevauchement de Mont-Saint-Martin (= cS) ; aSa = anticlinal de Sassenage (= fG ?) ; fG = flexure de Génieux (= aSa ?) ; sP = synclinal de Proveysieux ; CCO = chevauchement de la Chartreuse orientale ; sN = synclinal du Néron ; FBr = faille des des Bruziers ; FBa = failles de la Bastille ; aEc = anticlinal de l'Écoutoux ; sS = synclinal du Sappey.

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v figure agrandissable

Fig. 2 - Deux coupes des rives de la cluse de l'Isère en aval de Grenoble

Ces deux coupes sont orientées N110, de façon à être perpendiculaires aux plis nord-sud, qui sont les structures majeures des deux massifs de la Chartreuse (rive droite) et du Vercors (rive gauche). Les profils topographiques qui ont été dessinés ne sont pas rigoureux ; ils évoquent seulement ceux des rives de la cluse mais ne leur correspondent pas vraiment, celles-ci ayant une orientation nettement plus méridienne. L'ouest a été placé à droite, privilégiant à cet égard la représentation de la rive gauche, dont la structure est celle qui s'inscrit le mieux dans le paysage.

On remarque l'excellente correspondance des deux organisations structurales sur la majeure partie du tracé de la cluse. À l'amont immédiat du chevauchement de Voreppe les différences qui apparaissent d'une rive à l'autre sont intégralement attribuables à l'obliquité de cet accident (orienté N50) par rapport au plan de coupe et par rapport aux axes de plis (fig. 1). En aval de ce chevauchement les éléments structuraux situés de part et d'autre de la cluse viennent en bonne correspondance à un décalage près, dû à sa composante de rejet coulissant dextre et à celle de la faille des Balmes. Les différences qui marquent l'extrémité amont de la cluse sont évidemment d'abord liées à un comportement différent de l'érosion (qui a enlevé en rive gauche la presque totalité des terrains situés au dessus du chevauchement de la Chartreuse orientale). Mais elles font néanmoins apparaître l'intervention probable d'un décalage sénestre de la surface du chevauchement de la Chartreuse orientale (celle-ci étant reportée plus à l'est, en rive gauche, à altitude égale).

Voir la légende des abrégés désignant les structures en figure 1.

Légende stratigraphique :

M = Miocène ; Ss = Sénonien supérieur ; Si = Sénonien inférieur ; U = Urgonien ; H = Hauterivien ; V-Bs = Valanginien - Berriasien supérieur (calcaires du Fontanil) ; Bi-m = Berriasien inférieur et moyen marno-calcaire ; T-K = Tithonique sensu-lato (incluant le "Séquanien") ; B-K = faciès jurassiens, de plateforme, de la limite Jurassique-Crétacé ; Ox = Jurassique supérieur marneux ("Argovien" et Terres Noires).

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Fig. 3 - Tectonogramme théorique montrant la différence entre « V topographique » et pli transsynclinal.

Ce schéma, tout à fait trivial pour tout géologue structural, est destiné à permettre aux autres personnes de mieux visualiser la manière dont les effets de l'érosion peuvent illusionner, si l'on s'imagine que les lignes du relief sont systématiquement calquées sur des structures.

A- Cluse au travers d'un anticlinal en genou (dont l'axe ne présente aucun ensellement) : les falaises entaillées par l'érosion dans les niveaux durs s'abaissent vers la vallée sur l'un et l'autre flanc du pli : c'est le cas notamment pour les crêts de l'Urgonien des Rochers de l'Église, des calcaires du Fontanil de Mont-Saint-Martin et du Sénonien de la rive droite de la vallée du Furon. Elles dessinent, en passant d'une rive à l'autre, un V à pointe orientée dans le sens du pendage des couches.

B - Ensellement d'un anticlinal en genou de dessin en section identique : la voûte du pli s'abaisse ici suffisamment pour que la rivière puisse traverser le pli sans entailler la carapace résistante (une cluse empruntant un ensellement donnerait lieu à un schéma intermédiaire entre A et B). L'ensellement ne peut se détecter que par des mesures des plongements axiaux ou par comparaison des altitudes de la charnière dans le même niveau stratigraphique.

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figure agrandissable

Fig. 4 - Géométrie des strates.

La représentation adoptée ici est celle d'une carte en isohypses des surfaces stratigraphiques, basée sur les mesures de pendages faites sur le terrain. On a corrélé les données fournies par des niveaux différents, en tenant compte de leur décalage altitudinaire (qui est fonction des intervalles stratigraphiques qui les séparent et des valeurs des pendages du lieu), de façon à aboutir un dessin de courbes cohérentes sur une plus grande surface. D'autre part on a dessiné, par interpolation, les connexions probables, mais plus interprétatives, entre couches de même niveau stratigraphique, d'une rive à l'autre.

Les numéros indiquent les altitudes en centaines de mètres (le numéro 2 correspond à l'altitude du colmatage alluvial de la cluse). Les symboles stratigraphiques ci-après indiquent le niveau stratigraphique dont l'altitude correspond à la courbe considérée (un décalage dans la succession des numéros intervient donc à chaque changement de niveau stratigraphique de référence).

Ts = sommet du Tithonique ; Fi = base des calcaires du Fontanil francs (membre de Valetière) ; Fs = sommet des calcaires du Fontanil (dans l' anticlinal du Ratz) ; Ui = Base de l'Urgonien ; Us = sommet de l'Urgonien.

Les points désignant les localités correspondent aux emplacements de leurs églises.

L'absence d'une inversion, à l'emplacement de la cluse, des sens de plongement des voûtes anticlinales ou des fonds de synclinaux, ressort particulièrement de ce mode de représentation. Noter la coïncidence approximative entre l'emplacement de la cluse et celui du fond du synclinal de Villard-de-Lans (secteur où les courbes sont orientées N60 à N80) : c'est le seul endroit où l'on puisse envisager l'hypothèse qu'une structure plissée ait pu être utilisée dans le creusement de la cluse (celle-ci prend d'ailleurs ici, paradoxalement, un caractère de val)

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version plus grande, muette, de cette image

Fig. 5 - Géométrie de quelques surfaces tectoniques remarquables.

Sur cette carte sont figurées les isohypses des surfaces de failles et celles de quelques plans axiaux de plis. Les numéros indiquent leurs altitudes en centaines de mètres (le numéro 2 correspond à l'altitude du colmatage alluvial de la cluse).

Le dessin des isohypses est limité aux secteurs où ces accidents passent en profondeur et elles ne sont pas figurées dans ceux où ils sont enlevés par l'érosion. Elles sont extrapolées, à partir des points d'observation de la surface tectonique considérée, sur la base de son tracé cartographique.

Cette carte fait surtout ressortir l'inexistence d'indice d'un accident qui décalerait les structures subméridiennes en aval d'une ligne Fontaine - Saint-Égrève.

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figure agrandissable

Fig. 6 - Deux coupes au travers de la basse vallée du Furon

Elles illustrent les deux interprétations possibles des rapports entre le chevauchement de Sassenage et les plis voisins :

A/ Interprétation admise jusqu'à ce jour : le Miocène des pentes du Pont-Charvet remplit un coeur synclinal. Celui-ci s'engagerait même dans les falaises qui dominent le cours terminal du Furon, sous un Sénonien renversé appartenant au flanc ouest de l'anticlinal de Sassenage (Debelmas, 1965).

B/ Interprétation nouvelle proposée : le Miocène des pentes du Pont-Charvet n'affleure pas au sud-est de ce point. Il est pris en imbrication sous une lame de Sénonien à l'endroit. Celle-ci est détachée du flanc ouest du synclinal par le chevauchement (ce dernier quitte le flanc ouest de l'anticlinal de Sassenage pour migrer plus vers l'ouest, dans doute en s'engageant passagèrement en palier au sein du Sénonien).

L'interprétation A est en désaccord avec un certain nombre de faits :

Le pendage des strates du Miocène est seulement conforme à celui du Sénonien du Pont-Charvet, sans indice d'une charnière synclinale (pas plus que dans la falaise sénonienne qui domine le Furon plus à l'est), et la place manque pour loger une telle charnière entre ce Miocène et le Sénonien qui le domine, du côté est, dans les pentes du Bois du Blanc : ces derniers affleurements sénoniens sont donc certainement là par l'effet d'une faille de chevauchement. En outre ce Sénonien (supposé renversé mais disposé sensiblement comme le Sénonien sous-jacent) est plus probablement à l'endroit. En effet l'évolution des pendages en direction de l'est indique que le raccord avec les bancs, subverticaux puis pentés vers l'ouest, avec lesquels débute l'enroulement de la demi-voûte du flanc ouest de l'anticlinal de Sassenage, est synclinal. En effet, quand on se déplace d'ouest en est dans ces pentes, on ne voit jamais un accroissement progressif de la pente vers l'est des couches sénoniennes supposées renversées mais au contraire une atténuation de leur pendage allant même, par places, jusqu'à un basculement vers l'ouest (toutefois aucune charnière synclinale vraiment nette n'y a été clairement observée).

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Fig. 7 - Schéma illustrant la surimposition d'un cours épigénique, à partir d'un tracé déterminé par la direction de la plus grande pente sur le flanc de la chaîne.

1 - Étape précoce (Néogène) où les dispositifs structuraux du mésozoïque des chaînes subalpines ne sont pas encore atteints par l'érosion.

2 - Étape de l'encaissement dans les structures (et de formation des cluses).

NB. : Une représentation moins simplifiée devrait tenir compte de ce que l'étape 2 a pu s'accompagner d'une réactivation des structures (formation de chevauchements ), la vallée devenant alors partiellement antécédente par rapport au dispositif tectonique final.

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