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177 -Géologie alpine, 1995, t.71, p. 165-168.

L'ÂGE DES TERRES NOIRES ET DES FORMATIONS ASSOCIÉES DES ENVIRONS DE GRENOBLE

Jean Claude BARFÉTY (B.R.G.M., Bureau de l'Isère et Institut Dolomieu, 38031 Grenoble cedex), Raymond ÉNAY (Université de Lyon) et Maurice GIDON***

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Résumé

Les Terres Noires du bassin grenoblois sont essentiellement calloviennes et ne comportent pratiquement pas d'Oxfordien. La partie basse de cet étage (dont la partie supérieure est représentée par l'"Argovien") semble très réduite (voire même manquer par lacune). Les calcaires de Corenc sont un faciès latéral des Terres Noires inférieures et leur âge est callovien.


INTRODUCTION

La révision des levers, en vue de la publication de la feuille Domène (2° édition), nous a amenés à réexaminer la stratigraphie des formations marno-calcaires du Jurassique supérieur (Terres Noires, sensu lato) du Grésivaudan. Plusieurs des résultats auxquels nous sommes parvenus, concernant l'âge de ces couches sont assez surprenants car ils contredisent des idées admises depuis des décennies. Ils portent principalement sur l'âge du sommet de la formation des Terres Noires, réputé oxfordien, et sur l'âge et la signification des calcaires de Corenc, classiquement considérés comme bajociens.

 

ÂGE DES TERRES NOIRES SUPÉRIEURES

La formation des Terres Noires se termine par un ensemble encore très marneux mais que soutient une ossature de bancs de calcaires argileux, traditionnellement désigné du nom d'« Argovien ». Les niveaux inférieurs de ce membre avaient livré à M. Breistroffer (collections de l'Institut Dolomieu), Sowerbyceras tortisulcatum, Ochetoceras canaliculatum et Euaspidoceras perarmatum à Chantemerle (pentes du Rachais), Proscaphites cf. Bachianus à la Tour des Chiens, Sowerbyceras tortisulcatum, Proscaphites cf. anar, Phylloceras mediterraneum, Ochetoceras cf. hispidum et Ochetoceras canaliculatum, au col de Vence [Gignoux et Moret, 1952, p.89 et 271] . Toutes ces formes sont de la zone à Transversarium et l'« Argovien » grenoblois débuterait donc à l'Oxfordien moyen. Par contre Dichotomoceras bifurcatum, cité (notice Domène 1° éd.) et récolté « dans les ravins de Meylan, » indique la zone à Bifurcatum, de l'Oxfordien supérieur, mais l'échantillon n'a pu être retrouvé dans les collections et son origine n'a pu être précisée.

Les vraies Terres Noires, franchement marneuses, qui sont sous-jacentes à l'« Argovien » étaient attribués à l'Oxfordien inférieur. Ils comportent à leur partie haute, 25 m sous le changement de faciès, des niveaux à miches calcaires creuses (septaria) contenant des cristaux de quartz ("géodes de Meylan"). Dans le ravin du Rochasson (commune de Meylan), où ces niveaux sont d'ailleurs le siège d'une émission de gaz naturel [Debelmas, 1978; Kerckhove, 1979], ils ont fourni à l'un de nous (J.C.B.) quelques ammonites. Leur déterrnination, par R. Énay, montre qu'il s'agit de :
a) fragments indéterminables spécifiquement et qui ne permettent pas de trancher entre le Callovien supérieur ou l' Oxfordien inférieur, Sowerbyveras sp. , Properisphinctes sp., Peltoceras sp. ;
b) un demi-tour d'un exemplaire avec le tout début de la loge d'habitation; il entre dans le groupe des formes qui font la transition entre les derniers Quenstedtoceras calloviens, Qu. paucicostatum (LANGE) (Zone et sous-zone à Lamberti, Horizon à Paucicostatum) et les premiers Cardioceras oxfordiens du sous-genre Scargurgiceras, C. (Sc.) scarburgense (YOUNG & BIRD) (Zone à Mariae, sous-zone à Scarburgense, Horizon à Elisabethae) [Marchand, 1986; Fortwengler, 1989; Fortwengler et Marchand, 1994; Cariou et al., 1996]. La séparation entre C. scarburgense et C. paucicostatum est difficile, et les deux formes sont encore associées dans l'horizon à Elisabethae. En conséquence, avec un seul exemplaire il est impossible de trancher entre un âge Callovien terminal ou Oxfordien basal et il convient de situer cette faunule à la limite Callovien-Oxfordien. De fait cet horizon est très souvent souligné dans les chaînes subalpines et le bassin du SE par un niveau de nodules assez constant, souvent phosphatés et riches en ammonites [Énay, in Debrand-Passard, 1994, p. 256 et 263].

Il n'y a donc pratiquement pas de place (à peine quelques dizaines de mètres) pour loger, dans la succession, des niveaux attribuables à l'Oxfordien inférieur. Ce dernier, par conséquent, doit être ici très mince, voire manquer partiellement par lacune (car aucun accident, local ou connu dans le contexte régional, n'est susceptible d'expliquer cette extrême réduction).

Ces fossiles indiquent en outre le même âge que ceux, identiquement placés dans la succession lithologique, qui furent récoltés (en 1922 et 1943) à SaintMichel-les-Portes (feuille La-Chapelle-en-Vercors) [P. Lory, 1943] et attribués à la zone à Lamberti (curieusement rattachée, d'ailleurs, à l'Oxfordien inférieur...).

Aussi cette conclusion semble-t-elle devoir être étendue à un assez vaste domaine, d'abord vers le sud, au moins jusqu'à Saint-Michel-les-Portes, ensuite dans tout le Grésivaudan car aucun fossile de l'Oxfordien inférieur n'y a jamais été récolté.

ÂGE DES TERRES NOIRES INFÉRIEURES

a) Sous les marnes franches viennent, à mi-pente du talus marneux au nord de Saint-Ismier et jusqu'au bas du versant entre Saint-Ismier et Bouquéron, des marnes noires feuilletées à lits de "plaquettes" (petits bancs centimétriques de calcaires à débit en feuillets). Les surfaces des plaquettes montrent souvent des bioturbations et des empreintes de Posidonomya alpina qui les ont rendu célèbres sous le nom de "schistes à posidonomyes". Elles atteignent environ 500 m d'épaisseur. À partir de Montbonnot, vers le sud, on y trouve, à divers niveaux, des intercalations de petits bancs plus ou moins spathiques de 10 à 20 cm d'épaisseur, séparés par des schistes noirs.

A Bouquéron ces couches auraient livré Sphaeroceras bullatum et Reineckeia anceps [auteur ??], ce qui conduit à en faire du Callovien. Aucune trouvaille récente ni révision de ces formes ne permet toutefois de confirmer ou d'infirmer cet âge.

b) Les termes les plus inférieurs de la succession des Terres Noires correspondent à des calcaires noirs lités, à pâte fine, en petits bancs, de 20 à 40 cm d'épaisseur, séparés par des joints (décimétriques à pluridécimétriques) de schistes noirs. On les rencontre seulement au nord de Saint-Ismier, où elles apparaissent d'emblée assez haut dans le versant car elles y sont remontées par un accident chevauchant de la famille de celui du Pas Guiguet. L'âge de ces couches (Bathonien inférieur ?) est conjectural car aucun fossile ne semble jamais y avoir été récolté. Il faut souligner qu'elles passent directement, vers le haut, sans intercalations de faciès bioclastiques, aux schistes à posidonomyes.

 

ÂGE DES CALCAIRES DE CORENC

Aux approches de Corenc, en allant vers le nord-ouest, les intercalations spathiques des schistes à posidonomyes deviennent de plus en plus nombreuses et de plus en plus épaisses, au point que l'on peut distinguer sur la carte des niveaux qui en sont particulièrement riches. Ceux-ci passent (apparemment par coalescence) à des calcaires noirs massifs, oolithiques et à entroques, épais de 30 à 40 m. Ils affleurent au village même et dans les anciennes carrières situées plus à l'ouest (où ils ont été exploités pour la construction).

Ce sont eux qui sont connus dans la littérature sous le nom de « calcaires de Corenc ». Ils ont longtemps été considérés comme représentant le Bajocien, car ils avaient anciennement livré [Gignoux et Moret, 1952, p.95] des ammonites attribuées à des formes du Bajocien moyen et supérieur telles que Parkinsonia parkinsoni, Coeloceras humphriesianum, Perisphinctes arbustigerus, Phylloceras viator. Mais la redétermination de cette ammonitofaune par R.Mouterde a montré [Barféty, 1985] qu'elle contient au contraire plusieurs espèces indubitablement calloviennes (,), parmi des formes de détermination incertaine (dont certaines éventuellement bajociennes ou bathoniennes, qui seraient donc remaniées en ce cas).

L'attribution des calcaires de Corenc au Callovien est effectivement en accord avec la cartographie, qui montre que les faciès où ont été récoltés ces fossiles n'apparaissent pas sous les "Terres noires" inférieures, mais en intercalation au sein de celles-ci. Il faut donc y voir un équivalent latéral des schistes à posidonomyes.

Ceci lève un problème géométrique irritant qui était celui de comprendre comment des couches réputées aussi basses dans l'échelle stratigraphique pouvaient ici "remonter" aussi haut dans le versant : aucun accident connu n'a un rejet suffisant et il aurait donc fallu admettre une importante réduction locale d'épaisseur de la succession entre Bajocien de Corenc et Oxfordien supérieur du Col de Vence - Saint-Eynard, sans pouvoir d'ailleurs localiser à quel niveau elle se produisait. Par contre l'accident chevauchant qui passe dans le versant est du Rachais, et qui s'enroule pour s'enraciner dans les vallonnements à l'ouest de Corenc [Gidon, 1981], est sans doute assez important s'il ne s'agit que de justifier la remontée, beaucoup plus modeste, de Callovien inférieur, jusqu'au niveau de l'Oxfordien supérieur des pentes du Rachais (surtout compte tenu de l'absence stratigraphique de l'Oxfordien inférieur).

 

CONCLUSIONS

En définitive il apparaît donc que, contrairement à une habitude de langage fortement ancrée, les Terres Noires du bassin grenoblois ne doivent plus être désignées du nom de « Callovo-Oxfordien », ni - a fortiori - d'« Oxfordien ». En effet elles sont entièrement calloviennes (ou débuter même plus bas dans l'échelle stratigraphique). Les dépôts de cet étage apparaissent ainsi particulièrement épais (environ 1000 m.) et, en outre, assez variés puisqu'ils montrent des intrications et passages latéraux à des faciès bioclastiques qui sont ceux visibles à Corenc. Par contraste l'Oxfordien inférieur semble presque totalement faire lacune et la sédimentation reprendre seulement avec l'Oxfordien supérieur. Enfin ni la tectonique alpine ni la paléotectonique jurassique n'ont à être sollicitées pour expliquer la présence de Bajocien à Corenc, en rive droite de l'Isère : il n'y a tout simplement pas.

 

Bibliographie :

BARFÉTY J.C. (1985). - Le Jurassique dauphinois entre Durance et Rhône. Étude stratigraphique et géodynamique (zone externe des Alpes occidentales françaises. Documents du B.R.G.M. n° 131, 655 p.

DEBELMAS J. (1978). - Un dégagement de gaz naturel dans l'Oxfordien des environs de Grenoble (ravin du Rochasson, commune de Montbonnot, Isère). Géologie alpine, t.54, p. 15.

GIDON M. (1981). - La structure de l'extrémité méridionale du massif de la Chartreuse aux abords de Grenoble et son prolongement en Vercors. Géologie alpine, t.57, p. 93-107.

GIGNOUX M. et MORET L. (1952). - Géologie dauphinoise. Initiation à la géologie par l'étude des environs de Grenoble. 2° éd., 391 p., 91 fig., 3 cartes. Masson éd., Paris.

LORY P. (1943). - Le bord subalpin au nord du Mont-Aiguille (Excursion scientifique du 30 mai). Bull. trim. sect. Isère C.A.F., n° 3, p.31-32.