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187 - Géologie alpine, 1999, t.75, p.103-109

L'origine des abrupts septentrionaux du Taillefer (massifs cristallins externes, Isère, France)

par Maurice GIDON*

*Rue des Edelweiss, 38500 VOIRON


FIGURES

RÉSUMÉ - .De nouvelles observations montrent que les abrupts de la face nord du groupe montagneux du Taillefer, à la faveur desquels se produit une brutale dénivellation de la pénéplaine anté-triasique, ne représentent pas la lèvre surélevée d'une faille extensive jurassique. Elles conduisent au contraire à attribuer ce décalage vertical à un chevauchement vers le nord, très similaire à celui de la face nord de l'Armet. Il s'agit sans doute là d'une autre trace des effets, sur le socle cristallin du massif du Pelvoux, de la phase compressive N-S anté-Nummulitique.

MOTS CLÉS - Alpes, massifs cristallins externes, tectoniques anté-nummulitique.

The origin of the north-facing cliffs of the Taillefer mountain (external crystalline massifs of the French Western Alps).

ABSTRACT - New field data are brought about the structure of the northern side of the Taillefer mountain, which overhangs, by a nearly 1000 meters high cliff, the lake Poursollet plateau and changes the level of the pre-triassic surface of such a value. It is shown that this vertical separation is due to a northward verging reverse fault (and not to an extensional fault, as assumed before). This " Taillefer fault " belongs to a family of thrust faults which cut up the crystalline basement of the external zones of the french alps in the sector of their maximal bend and which are assumed to have operate before nummulitic times.

KEY WORDS - Alps, Crystalline massifs, pre-nummulitic tectonics.



Le massif du Taillefer constitue le prolongement méridional du massif cristallin de Belledonne (fig. 1), au sud de la gorge de la Romanche. L'abrupt septentrional de son groupe montagneux sommital domine, par une dénivellation de l'ordre de 1000 m, le plateau des lacs (Lac Fourchu et nombreux autres), situé entre son pied nord et le Grand Galbert, rebord sud de la gorge de la Romanche. Un décalage d'une valeur équivalente sépare les affleurements triasiques sommitaux et ceux du plateau des lacs, de part et d'autre de cet abrupt (fig. 2 ).
Ce décalage a été interprété comme résultant du jeu d'une grande faille subverticale orientée est-ouest, dont les faces triangulaires du Rocher Culasson et des Rochères représenteraient la lèvre sud, peu disséquée par l'érosion [Debelmas et Sarrot, 1960]. Cette interprétation a été reprise [Lemoine et al, 84] en considérant plus précisément qu'il s'agissait d'une faille extensive jurassique, associée avec les failles de même origine dont l'orientation est subméridienne, telle celle du col d'Ornon (Barféty & al 1979), pour former un réseau en damier.
Il était toutefois génant qu'aucun auteur n'ait décrit d'affleurements où cette faille soit visible et affecte le Trias. D'autre part, plus au sud dans le même chaînon, une dénivellation aussi brutale et de même ampleur s'observe entre Plan-Col et le sommet de l'Armet. Or, dans ce cas, il a été montré que ce décalage de la pénéplaine anté-triasique résultait d'une faille inverse, chevauchante vers le nord (Barféty et Gidon 1990).
Je me suis donc résolu à rechercher sur le terrain les données qui permettraient de mieux étayer la compréhension de l'origine de l'abrupt septentrional du Taillefer. Voici le résultat de ce travail (fort peu moderne, car effectué avec les seuls moyens traditionnels que sont chaussures, marteau, cartes et crayons).

Contexte géologique

En ce qui concerne la nature du substratum cristallin dénudé par la pénéplanation triasique il est à noter que les levés de la carte géologique (ici dus à F. Carme [Barféty et al., 1972]) ne montrent en général pas de hiatus notable entre le compartiment situé au nord et celui au sud du pied de l'abrupt nord du Taillefer. Tout au plus peut-on relever un décalage dextre de l'ordre de quelques centaines de mètres des bandes des diverses variétés de gneiss et micaschistes. Cependant on note que la bande de gneiss migmatitiques, large de 500 m., qui détermine la zone déprimée N-S séparant le sommet du Taillefer de celui de la Pyramide, est brutalement interrompue au sud du Lac Culasson et ne réapparaît pas au nord de ce lac. Ceci fournit à l'évidence, en ce point précis, un jalon sur le tracé de la cassure recherchée.
Pour ce qui est des observations relatives aux affleurements triasiques, deux secteurs sont, en fait, à distinguer, tant au point de vue des accès que de la répartition de ces affleurements (fig. 3).

a) Le secteur occidental, du Poursollet

Il s'agit du plateau semi-boisé qui s'étend à l'ouest de la face ouest du Rocher Culasson et au pied du rebord du plateau des lacs supérieurs et qui héberge le lac du Poursollet. Il ne montre aucun affleurement triasique, à l'exception de ceux des chalets de la Barrière (curieusement oubliés sur la carte géologique), qui sont beaucoup trop au nord de l'abrupt du Taillefer pour pouvoir nous intéresser. Leur présence, au pied du rebord qui limite le plateau du Poursollet du côté oriental, indique toutefois que ce plateau, bien que nettement en contrebas de celui du lac Fourchu, correspond bien à la surface dénudée de l'ancienne pénéplaine anté-triasique.

b) Le secteur oriental, de la Jasse

Les lacs supérieurs, dont le principal est le lac Fourchu, sont disséminés à la surface d'un plateau mamelonné qui descend doucement vers le sud depuis le pied de la cime Chalvine. Ce plateau est jalonné d'affleurements triasiques, souvent minuscules et ne dépassant guère 50 à 100 m de côté en général, qui sont posés subhorizontalement sur la tranche des foliations cristallophylliennes de leur soubassement cristallin. Le plus grand de ces affleurements, qui limite, du côté ouest, les prairies de La Jasse mesure 400 mètres de long et affecte assez bien l'allure d'une barque à fond plat orientée N-S.
Quelques uns de ces affleurements sont localisés à proximité du pied de l'abrupt du Taillefer et ont donc fait l'objet de mon examen attentif. J'ai en particulier visité un affleurement situé au pied des falaises du versant NE de la Pyramide, au fond du ravin du Clot de l'Homme (à l'ouest du Guillard d'Ornon), qui n'est pas indiqué sur la carte géologique, mais dont la signification s'est avèrée particulièrement importante.
La carte IGN ne comportant dans le domaine visité que peu d'indications toponymiques, ces groupes d'affleurements seront simplement désignés par un numéro d'ordre, depuis l'ouest vers l'est (fig.3).

Observations

Les affleurements du pied nord du Rocher Culasson (n°1)

Deux affleurements s'observent là (fig. 3) :

a) L'affleurement 1a est en tous points comparable, par sa disposition horizontale, aux autres du plateau des lacs. Sa présence a toutefois l'intérêt de montrer que la faille du Taillefer ne peut passer que plus au sud.

b) L'affleurement 1b, plus méridional, est minuscule (il ne mesure qu'un dizaine de mètres de côté) ce qui explique qu'il ne soit pas indiqué sur la carte géologique. Il se trouve au revers nord de la butte 2136, à l'ouest du couloir où passe le sentier qui se dirige depuis les lacs vers le Taillefer. Les dolomies y sont plaquées à flanc de pente et encroûtent le cristallin (leptynites massives) selon une surface inclinée d'environ 60° vers le nord. Cet affleurement se trouve donc au nord de la cassure qui, d'après la carte, décale vers l'est, plus au sud, la limite entre les gneiss leptynitiques et la bande d'amphibolite où passe le sentier. Il faut souligner le fait que son pendage est très différent de celui des affleurements plus septentrionaux.
Le replat au dessus du ressaut qui porte l'affleurement triasique ne montre cependant pas d'indice flagrant du passage d'une cassure, hormis le fait qu'il correspond à une bande de leptynites particulièrement feuilletées, qui peuvent donc représenter une mylonite. Mais surtout c'est là que la carte géologique [Barféty et al., 1972] fait état d'une interruption définitive de la large bande N-S de gneiss migmatitiques qui détermine la zone déprimée N-S séparant le sommet du Taillefer de celui de la Pyramide.

c) Plus à l'ouest, au delà de l'éboulis que traverse le sentier qui monte vers le Taillefer depuis le rebord dominant le Poursollet, il n'y a plus d'affleurements triasiques mais, par contre, les indices de cassure sont fort nets. On suit en effet, tout au long du pied des véritables abrupts, environ 100 m en dénivelée au dessus du sentier qui monte depuis le Poursollet, deux surfaces de dislocation parallèles, espacées d'environ 50 m, qui traversent le versant en perdant de l'altitude vers l'ouest.
- La dislocation supérieure est une surface fort nette, qui détermine un surplomb dominant une vire. Elle est soulignée par une zone broyée qui inclue des lames de cristallin dont la surface est fortement teintée d'orangé (sans doute en liaison avec une abondance de filons de barytine).
- La dislocation inférieure correspond à une zone plus floue, également marquée par places d'une forte coloration orangée. Le gneiss y est affecté d'une schistosité nettement oblique à la foliation, orientée environ N70 et pentée vers le sud de 70 à 80° : il s'agit à l'évidence d'une zone de cisaillement compressive à vergence nord.
Au total il y a toute vraisemblance que ces deux surfaces de cisaillement jumelles représentent le prolongement de la cassure de la butte 2136, qui doit (si l'on en croit les levers de F, Carme), passer en direction opposée (vers l'est) sous les dépôts morainiques qui retiennent le lac Culasson.

Les affleurements du pied de la face nord des Rochères (n°2)

À l'est du lac Culasson, le pied des abrupts des Rochères (face triangulaire du promontoire nord de la Pyramide) est garni sur environ 500 m par une double bande d'éboulis qui masquent la rupture de pente où devrait passer la faille précédente. Les affleurements réapparaissent entre les buttes cotées respectivement 2178 au SW et 2059 au NE (fig. 3 et fig. 4 ).

a) L'affleurement 2a est constitué par une bande de dolomies, à litage peu distinct, qui s'élève en écharpe au revers sud-est de la butte 2178. Elle butte, du côté sud, par une cassure verticale orientée SW-NE, contre une nervure de cristallin. Du côté amont elle se termine sur un replat en amont duquel débute l'abrupt cristallin de la face nord des Rochères.
Or ce replat correspond au passage d'une cassure fort bien visible dans les ravines qui bordent du côté sud-est la bande de dolomies. On voit qu'elle plonge vers l'intérieur de la montagne avec une inclinaison d'environ 45° et un azimut proche d'E-W. Elle est soulignée par une zone broyée qui couronne des affleurements de cristallin (leptynites) dont la surface est fortement teintée d'orangé. Sa situation son orientation et ses caractéristiques conduisent à y voir le prolongement probable de la faille décrite précédemment.

b) L'affleurement 2b montre des bancs de dolomie bien lités, pentés de 45° vers le nord, en rive droite du sommet du thalweg du ruisseau qui descend vers la Basse Montagne. Dans le thalweg lui même ils butent contre le cristallin de l'autre rive par une cassure orientée aux alentours de N70, qui est soulignée par un filon de quartz, épais de plusieurs mètres, à pendage sud. Il s'agit donc là d'une faille extensive qui rehausse le compartiment plus septentrional de la butte 2059 (extrémité méridionale des prairies de La Jasse).

Les affleurements de la Basse Montagne (n°3)

Ce secteur, situé à la limite des pentes d'alpages et des bois, montre plusieurs affleurements disséminés qui sont plaqués à la surface du cristallin selon une inclinaison de 20 à 40° vers l'est, depuis le flanc oriental de la butte 2059 (extrémité méridionale des prairies de La Jasse), jusqu'aux lacets méridionaux de la route pastorale (fig. 3 et fig. 4). Cette disposition témoigne d'une ébauche de ploiement antiforme de cette surface et représente vraisemblablement le crochon de la faille du col d'Ornon. Au terminus de la route pastorale ces affleurements sont décalés verticalement par une faille N-S qui se traduit dans la morphologie par un sillon très net.
L'affleurement du versant oriental du point 1827 ne bute pas du côté sud contre une faille qui l'abaisserait par rapport au cristallin plus méridional, comme l'indique la carte géologique, mais il est simplement posé sur le flanc de la butte. Par contre la selle située au sud du point 1827 et la ravine qui en descend vers le SE sont clairement déterminées par une cassure qui est soulignée par un filon de quartz très épais (2 à 10 m) et très continu, qui pend vers le sud - sud-est de 60°, que l'on pourrait appeler faille du Clôt de l'Homme, car elle délimite du côté nord le cirque de ce nom (fig. 3 et fig. 4).
Il est assez évident que cette cassure représente le prolongement de celle du flanc sud du point 2059, dans le groupe d'affleurements précédent (que souligne un filon de quartz similaire), car sa trace s'inscrit, dans la morphologie, par une ligne de talus, orientée comme la faille entre deux ressauts rocheux. On peut également souligner ici l'analogie qui existe entre entre le filon de quartz qui la souligne et celui qui tapisse le miroir de la faille du Ser Barbier, au nord du col du Vallon [Barféty et Gidon, 1980]. Elle suggère que cette faille pourrait, comme celle de Ser Barbier, correspondre à une cassure synsédimentaire liasique.

Les affleurements du Clôt de l'Homme (n°4)

Le petit cirque du Clot de l'Homme est ceinturé par les basses falaises de la Pyramide, que saute en cascade le ruisseau qui draine ce versant. Immédiatement au nord-ouest de cette cascade (à droite en montant) le pied des abrupts recèle deux affleurements de dolomies triasiques. Ils s'élèvent, alignés en diagonale vers le nord-ouest, au creux du redan des falaises (fig. 5). Il est étonnant que leur présence ait échappé aux précédents observateurs, car l'affleurement principal (inférieur) mesure une centaine de mètres de long pour une vingtaine de large (il est vrai que, bien que situé seulement à 1700 m, il reste assez longtemps recouvert de neige en début de saison).

Il faut remarquer, en premier lieu, la localisation très méridionale de ces affleurements, fortement en retrait par rapport à la rupture de pente qui sépare le Taillefer du plateau des lacs : elle infirme, à elle seule, l'hypothèse d'un abaissement du Trias de ce plateau par le jeu d'une faille verticale (ou, pire encore, par celui d'une faille à pendage vers le nord).
Les bancs de dolomies triasiques de l'affleurement inférieur sont pentés à 70° vers le SW. Ils sont surplombés du côté sud-ouest par une surface de cassure moins fortement inclinée, qui n'est malheureusement nulle part assez dégagée pour permettre des observations microtectoniques. Cette cassure se poursuit au pied des cascades, où elle est soulignée par une zone broyée qui couronne des affleurements de cristallin (leptynites) dont la surface est fortement teintée d'orangé, et, au delà, au pied des falaises de rive sud du cirque (avant de disparaître sous les bois, dans les pentes qui descendent vers le Guillard).
Son tracé confirme ce que montre l'observation locale, savoir l'orientation sensiblement E-W et le pendage de l'ordre de 45° vers le sud de cette cassure (fig. 3 et 4). Cette géométrie conduit sans peine à raccorder cette cassure, en franchissant l'éperon NE des Rochères vers l'altitude de 1950 m, à la faille inverse des affleurements du groupe 2 (et, par leur intermédiaire, à celle du pied septentrional du Rocher Culasson).
Au sommet de l'affleurement, à sa marge nord-est, on voit que les bancs de dolomies triasiques sont plaqués à 70° vers le S-SE (azimut N20) sur le cristallin et que les premiers lits qui enduisent ce dernier sont farcis de graviers de quartz : il s'agit donc là d'un contact sédimentaire, analogue (avec un pendage plus fort) à ceux que l'on observe plus au nord, dans le secteur de la Basse Montagne. Le second affleurement, plus petit et situé plus haut dans l'alignement du premier, est également plaqué contre le cristallin.

Il faut enfin souligner qu'en rive sud du ravin du Clôt de l'Homme il faut se déplacer de près d'un kilomètre vers l'est (c'est-à-dire dans le prolongement de l'accident observé au Clôt de l'Homme) pour retrouver l'interface cristallin - sédimentaire, au sommet des ravines qui entaillent le Lias schisteux des pentes boisées du Guillard (Barféty, 1972 ; secteur 5, fig. 3). Or la surface du cristallin présente là une orientation N-NE et un pendage vers l'est, qui sont analogues à ceux observés au Clôt de l'Homme. L'interface cristallin - sédimentaire subit donc, en rive sud du Clôt de l'Homme, un décalage horizontal sénestre. Ce rejet cartographique correspond tout à fait à celui que l'on doit attendre, compte-tenu du pendage vers l'est de cette surface, d'un surhaussement de la lèvre sud de la cassure.

Conclusions

Les différentes transversales N-S de l'abrupt septentrional du Taillefer montrent une structure tectonique très analogue et la cartographie montre qu'en dépit d'interruptions par des zones d'éboulis les accidents qui s'y observent s'y poursuivent d'ouest en est (fig. 3). Il apparaît en définitive que deux cassures post-triasiques peuvent y être mises en évidence :
- une cassure extensive à faible rejet, la faille du Clôt de l'Homme dont le compartiment méridional est abaissé (et non soulevé comme le voulaient les interprétations précédemment formulées). L'orientation de cette faille est plutôt N60, son pendage de l'ordre de 45° S-SE et son rejet est modeste, à peine hectométrique. On ne l'observe que sur le versant oriental de la montagne et elle semble venir buter contre la suivante dans le secteur de la Jasse.
- une cassure chevauchante vers le nord, dont le pendage est également de l'ordre de 45° S-SE, mais dont l'orientation est plutôt E-W. Cet accident mérite d'être appelé chevauchement du Taillefer. On le suit de part en part du plateau des lacs, au pied de l'abrupt septentrional du Taillefer, depuis les pentes du Poursollet jusqu'à celles d'Ornon
Dans ce dernier secteur cet accident termine son parcours en déterminant, aux dépens des contours de l'interface cristallin - sédimentaire, un décalage horizontal qui est dû à ce que cette surface plonge là vers l'est. Or l'ordre de grandeur de cve rejet horizontal est le même que celui du rejet vertical qu'il manifeste, au dépens de ce même interface lorsque, ce dernier est subhorizontal (c'est-à-dire sur le plateau des lacs). Ce fait confirme qu'il s'agit bien là d'une seule et même importante cassure.
Comme, en outre, les levés de terrain montrent l'absence de toute faille normale au pied septentrional du bloc du Taillefer, il est évident que la dénivellation séparant ce bloc de celui du plateau des lacs ne peuit être imputée qu'au chevauchement du Taillefer. Il faut ajouter que les affleurements les plus proches de la surface de cette cassure sont en général affectés d'un basculement qui leur donne un pendage plus ou moins accusé vers le nord : c'est sans doute là l'indice d'une torsion en crochon de l'interface socle - sédimentaire (ce qui justifie le dessin adopté, sur le cliché de la figure 1, pour la partie de cette dernière qui est enlevée par l'érosion).
Les faces triangulaires que présente l'abrupt septentrional du Taillefer (tout particulièrement à la Pyramide) avaient fait croire à la conservation, avec une apparente fraîcheur morphologique, de fragments du miroir d'une faille à pendage nord (Debelmas et Sarrot, 1960). Ce trait morphologique ne peut plus désormais nous apparaître que comme un caprice de l'érosion, qui n'a aucune origine structurale déterminée et qui a fait office de leurre. On peut cependant envisager (selon une suggestion verbale de J.Debelmas) qu'il ait été induit par l'ouverture de failles extensives superficielles lors du déblaiement de la partie avancée du bloc chevaucnant du Taillefer.
En définitive la structure de la face nord du Taillefer est remarquablement similaire à celle de l'Armet : C'est effectivement par le jeu d'une compression N-S (vraisemblablement anté-Nummulitique, cf. Gidon , 1979 ; Barféty et Gidon, 1990 et Pécher et al. 1992), et non par celui d'une extension jurassique, que les tronçons successifs de la pénéplaine anté-triasique sont dénivelés en marches d'escalier à l'extrémité méridionale du rameau interne de Belledonne. L'importance de cette phase de compression N-S et son rôle dans la structuration de ce secteur charnière de l'arc alpin français sont donc décidément à réévaluer.

Remerciements :
Je remercie J.Debelmas pour m'avoir fait bénéficier de ses pertinentes remarques après avoir lu le premier manuscrit de cette note.
Références :


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Barféty J.C., Gidon M., Lemoine M. & Mouterde R.(1979). - Tectonique synsédimentaire liasique dans les massifs cristallins de la zone externe des Alpes occidentales françaises : la faille du Col d'Ornon. C. R. Acad. Sc. Paris,. 289, série D, 1207-1210.
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Barféty J.C. & Gidon M. (1990). - La tectonique alpine du massif cristallin du Taillefer (Alpes occidentales françaises) : découverte de chevauchements vers le Nord. Géologie alpine, 66, p. 1-9.
Debelmas J. et Sarrot-Reynauld J. (1960). - Le réseau de failles du massif du Taillefer près Vizille (Isère). Trav. Lab. Géol. Univ. Grenoble, 36, 51-58.
Desthieux F. & Vernet J. (1970). - Nouvelles données pétrographiques et structurales sur la région du Lauvitel (Massif du Pelvoux). Géologie Alpine, 46, 67-76.
Gidon M. (1979). - Le rôle des étapes successives de déformation dans la tectonique alpine du massif du Pelvoux (Alpes occidentales). C. R. Acad. Sc. Paris, 288, série D, 803-806.
Lemoine M., Gidon M. & Barféty J.C. (1981). - Les massifs cristallins externes des Alpes Occidentales : d'anciens bloc basculés au Lias, lors du rifting téthysien. C. R. Acad. Sc. Paris, 292, série II, 917-920.
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FIGURES

 

 


(figure agrandissable)

Fig. 1 - Carte de situation, montrant la position du Taillefer par rapport aux massifs cristallins externes voisins
Les principaux chevauchements vers le nord sont numérotés d'ouest en est : 1 = chevauchement du Taillefer ; 2 = chevauchement de l'Armet ; 3 = chevauchements du Rochail (Pierre Grosse, Côte Belle = Villard Notre-Dame [Desthieux & Vernet, 1970 ; Sue & al. 1997]) et Pied Moutet; 4 = chevauchement de la Muzelle ; 5 = chevauchement de la Meije ; 6 = chevauchement du Combeynot.

 

 

 

 

 

 

 

 


(figure agrandissable)

Fig. 2 - Le Taillefer vu de l'ouest (depuis le col vert, en Vercors).
Sur ce cliché l'abrupt septentrional de la montagne apparaît de profil, sans déformation perspective.
ØT = chevauchement du Taillefer.
Le dessin en crochon de la surface de la pénéplaine anté-triasique est une interprétation suggérée par les faits de terrain.

 

 

 

 

 

 


(figure agrandissable)

Fig. 3 - Carte de localisation des affleurements, entre le Poursollet et Ornon.
Les numéros désignent les secteurs distingués pour leur description. Les affleurements 1a et 1b sont situés respectivement à gauche et en bas à droite du chiffre 1 cerclé. 2a est situé au SE du point coté 2178 et 2b au sud du point coté 2059.
ØT = chevauchement du Taillefer ; F = faille extensive du Clôt de l'Homme (elle est suivie par la partie supérieure du ravin qui draine d'ouest en est le pied des pentes septentrionales des Rochères avant de rejoindre le Rif Garçin au pont de la Basse Montagne)

 

 

 


(figure agrandissable)

Fig. 4 - Quatre coupes au niveau de La Pyramide du Taillefer et de La Jasse (extrémité orientale du plateau supérieur des lacs).

NB : les deux coupes inférieures, étant orientées SW-NE, montrent l'inflexion de la surface du cristallin, qui plonge de plus en plus vers l'est.
ØT = chevauchement du Taillefer (myl. = bande broyée à patine orangée)
F = faille extensive du Clôt de l'Homme, que suit la partie supérieure du ravin qui draine d'ouest en est le pied des pentes septentrionales des Rochères

 

 

 


(figure agrandissable)

Fig. 5 - Bloc perspectif montrant la disposition des affleurements du fond du cirque du Clôt de l'Homme (voir localisation en fig. 3).

ØT = chevau chemendtu Taillefer. Les dolomies triasiquessont plaquées sur le versant ouest du cirque et leurs bancs se rebroussent au delà de la verticale au creux du cirque, immédiatement à l'ouest des cascades (ils disparaissent, sous les éboulis, au pied de celles-ci).