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Alpes Françaises

Médaille, poudre (d'or) aux yeux et rêves fous: l'aventure de La Gardette et son devenir

par J. FÉRAUD et B. ANCEL

C'est sans doute l'ancienne mine d'or de La Gardette (commune de Villard-Notre-Dame, en Isère) qui en France détient le record d'être à la fois la plus petite en tonnage et la plus grande en célébrité. Nous ne savons si elle détient aussi le record des dépenses d'exploration faites en pure perte, mais elle figure sûrement en bonne place dans la course. Tout avait pourtant bien démarré après sa découverte au début du XVl ème s., avec la frappe pour la Monnaie de Paris en 1786 de la fameuse médaille commémorative des Mines de La Gardette, à partir du premier lingot fourni. Les géologues Alexis Chermette et Jacques Geffroy ont narré il y a 30 ans dons des pages devenues célèbres la bergerade de la découverte des mines de La Gardette et des Challanches, et comment la médaille fut commandée par Monsieur, frère du Roi, à l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres. Signé par Dupré le célèbre graveur de l'époque, l'original de 7 cm de diamètre est conservé aujourd'hui (avec son moule) à la Monnaie de Paris 11 Quai de Conti (collection Louis XVI n° 60). On y voit sur une face "Louis XVI Roi et Frère bienfaisant" et sur l'autre le Comte de Provence qui offre à son royal frère le premier produit d'une mine d'or françoise avec la mention "prémices de l'or tiré des mines d'Allemont offertes au roi par Monsieur, 1786 hommage de tendresse et de reconnoissance", tandis que des ouvriers s'activent à la masse sur le carreau de la mine, dans un paysage montagneux. Les mauvaises langues ironisent que la mine ne produisit au grand jamais que juste assez pour frapper la médaille en quelques exemplaires . Les exemplaires originaux s'arrachent en tout cas aujourd'hui bien plus qu'à prix d'or.

L'analyse des péripéties de l'histoire de la mine et son lever topographique détaillé ont fait l'objet en mars 2000 d'un rapport (public) remarquable de deux archéologues miniers Bruno Ancel et Cécile Dardignac, rédigé à la demande du Service Régional de l'Archéologie de Rhône-Alpes. Il apporte des précisions considérables par rapport aux études publiées jusqu'ici, comme cela a été souligné par les autorités au cours de la procédure administrative menée par l'État en Isère pour le retrait de la concession minière du Pontet-La Gardette (qui est orpheline). La mine est à l'abandon et les galeries restées ouvertes représentent un danger considérable pour le public ainsi que pour les cristalliers qui s'y aventurent épisodiquement en toute illégalité. Mais l'inventaire des intérêts patrimoniaux archéologiques, scientifiques et environnementaux prévus par l'article 79 du Code Minier a souligné que cette ancienne petite mine parfaitement intégrée aujourd'hui dans les paysages splendides de l'Oisans s'identifie quasiment à un monument historique pour les minéralogistes du monde entier. Elle a fourni en effet à tous les musées (et elle recèle encore) des échantillons de cristal de roche exceptionnels, et notamment la fameuse macle de La Gardette ainsi que de très beaux spécimens de chalcopyrite. Ces inventaires ont fait connaître en outre la valeur patrimoniale exceptionnelle tant au plan national qu'européen, de la très ancienne petite mine de plomb argentifère du Pontet située aussi dans la concession (sur les communes de Villard-Notre-Dame et du Bourg-d'Oisans); les datations publiées par les archéologues Marie Christine Bailly-Maître et Bruno Ancel ont en effet prouvé qu'elle apparaît comme la première mine d'argent romaine (Ier-II e s.) démontrée dans cette partie des Alpes françaises (mis-à-part La Plagne), et qu'elle a été exploitée aussi aux VI e - VII e s. puis en plein Moyen-Age (XIVe s.).

C'est pourquoi les autorités concernées (la DRIRE et la DRAC de Rhône-Alpes) ont voulu que les prescriptions techniques classiquement en vigueur pour la sécurisation des ouvrages miniers dangereux vis-à-vis du public, soient adaptées du mieux possible aux impératifs de sauvegarde de ce patrimoine fragile et non renouvelable, et de sa valorisation ultérieure dont le besoin a été exprimé par plusieurs organisations et institutions. Cela suppose néanmoins que des repreneurs se manifestent pour ces ouvrages, qu'ils s'assurent de la maîtrise du foncier et endossent les responsabilités afférentes. Une première réunion publique s'est tenue sur place le 19 décembre 2001 où les parties prenantes ont jeté des bases solides pour y parvenir. La Gardette est donc en bonne passe d'être sauvée. Ce sera une issue heureuse pour un des plus emblématiques sites minéralogiques français, objet jadis (et toujours encore) des rêves les plus fous.

Pour bien montrer combien ces rêves d'Eldorado aveuglaient les esprits les plus cartésiens bien avant le scandale BRE X, et clore par l'ironie cette évocation du plus fantomatique des ors français, rappelons avec Bruno Ancel et Cécile Dardignac que la Société Géologique de France se prit jadis, elle aussi, à rêver lorsqu'elle visita en grande pompe la mine de La Gardette.

Les compagnies minières ont toujours su recevoir, c'est une des traditions d'hospitalité des rudes gens de la mine qui paient un lourd tribu aux dangers qu'ils encourent et apprécient d'autant la vie et l'amitié. Mais cette fois là, l'accueil fut spécial. C'était le 9 septembre 1840 à 7 h du matin. Une nouvelle compagnie minière concessionnaire venait de se constituer sur le passif de la précédente. Elle se flattait d'avoir à sa tête MM Van de Velde et le Comte de Garden, Chambellan (sic) de Sa Majesté le roi de Bavière et Ministre d'Anhalt à Paris. A cette saison les feuillages du sous-bois étaient déjà bien dorés. Mais la Compagnie des Mines de La Gardette voulut sans doute aussi dorer la pilule à ses actionnaires potentiels, par une opération de communication bien montée. Chaque membre de la société savante, encore sous le charme de l'odeur des chandelles et de l'air humide et frais des galeries, se vit donc remettre à la sortie après un bon déjeuner, un échantillon de minerai qui provenait naturellement, de la mine. Le compte rendu de la docte société qui fut publié de retour à Paris est empreint d'enthousiasme mais aussi de réserve (Bulletin SGF, t. 11, 1840 p. 420-424).
Mais le seul fait de cette visite officielle des plus grands experts de la planète entretînt chez les gogos non avertis la rumeur de la richesse du gisement en aval pendage, et des promesses qu'il offrait aux investisseurs. Les tentatives d'Eugène Gueymard, chef du service des mines de Grenoble comme celles de Scipion Gras ne réussirent pas à ramener à la raison les actionnaires manipulés. Et cette tentative de relance de l'extraction se solda par un four, qui n'était pas à cristaux celui-là: 63 000 F de dépenses, 7 000 de recettes et même pas un kilo d'or et demi. Une fois de plus, on peut dire que La Gardette qui au total n'a produit que quelques kilos d'or et beaucoup d'actions papier qui font la joie des scripophiles, ne fit jamais que la fortune des ouvriers qui parvinrent à voler de rares pépites et surtout ces fantastiques plaques de prismes de cristal de roche qui font la vraie réputation de la mine dans le monde et celle des musées nationaux et régionaux qui en exposent (à Bourg d'Oisans, Grenoble et Paris notamment) .

J. FÉRAUD
et B. ANCEL

Pour en savoir plus

Ancel B. et Dardignac C. (2000) - (inventaire du patrimoine archéologique de la concession) La concession minière de La Gardette-Le Pontet (Villard Notre-Dame/Bourg-d'Oisans, Isère). Document final de synthèse. Service Culturel Municipal (CCSTI) de L'Argentière-La-Bessée et Service Régional de l'Archéologie Rhône-Alpes, 1 fascicule de texte intitulé "Cadre, méthodes, enseignements, note de synthèse" et 3 vol. d'annexes, 250 p. Archives DRAC/Service Régional de l'Archéologie, Lyon.


Cet texte a été publié par la revue Géochronique , dans son numéro 87 de 2003


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