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Compléments
Alpes Françaises

Les séismes alpins et leur interprétation géologique

par Jacques DEBELMAS*
(version de janvier 2006)

*Ce texte a été rédigé avec les conseils et les documents fournis par François Thouvenot (L.G.I.T.) que je remercie vivement.


Les Alpes, comme toutes les chaînes de montagnes récentes, montrent une certaine sismicité qui prouve que l'activité tectonique s'y poursuit sous des formes variées qui ne sont pas toujours faciles à comprendre (plissements, coulissements, soulèvements et affaissements). Les médias font naturellement état de ces secousses mais l'explication donnée est toujours la même et reste fort vague, à savoir que les Alpes et leurs piedmonts sont à la limite de deux plaques entrées en collision, l'Afrique et l'Europe. Il est exceptionnel que l'on parle du microcontinent adriatique à la place de l'Afrique mais, finalement, on en revient toujours à la collision interplaques, véritable deus ex machina qui explique tout mais finalement n'explique rien. Pourquoi un séisme là et non pas plus loin ? Quelle est la structure qui a joué et de quelle façon ?
Il est donc utile de revoir aujourd'hui le problème, dont la solution est de plus en plus facilitée par la multiplicité des stations sismiques dans les Alpes (
44 stations SISMALP dépendant de Grenoble, 10 stations IGG dépendant de Gênes) et une meilleures connaissance des processus mécaniques mis en jeu grâce à la notion de « mécanisme au foyer ».

La secousse se produit-elle en régime compressif ou distensif ? On peut déjà en avoir une idée en regardant le début de l'enregistrement. Si la première impulsion est compressive, le stylet se déplace vers le haut (C). Si elle est distensive, le stylet se déplace vers le bas (D).

Des méthodes plus sophistiquées permettent de préciser davantage les mécanismes mis en jeu au foyer sismique, notamment en examinant les enregistrements du plus grand nombre possible de stations situées autour de l'épicentre. Ces stations reçoivent en effet des impulsions de nature différente en fonction de leur position pour un séisme donné. Ceci est normal car toute compression en un point entraîne obligatoirement une distension ailleurs.

La répartition de ces réactions compressives ou distensives émanant d'un foyer quelle que soit la contrainte originelle, permet de comprendre le mécanismes de la faille, l'orientation de celle-ci, sa magnitude et sa profondeur. On peut aussi comprendre l'existence éventuelle de failles « conjuguées », c'est-à-dire de failles annexes réagissant à la contrainte initiale selon une direction oblique à celle de la faille principale (F2 par rapport à F1 par exemple).

Sur les cartes sismographiques, on représente la secousse analysée par une petite sphère blanche avec des plages noires évoquant la nature du mécanisme au foyer .L'orientation de ces plages permet aussi d'indiquer l'orientation de la contrainte.

Mais les mécanismes au foyer ne peuvent être étudiés sur les séismes historiques, anciens, et demandent beaucoup de temps à être analysés sur les récents. C'est ainsi que sur les 1600 séismes alpins survenus ces dix dernières années, 79 solutions focales seulement ont pu être élucidées.

Fig. 1 (taille maxi)
Répartition des séismes alpins, d'après Rothé
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Ceci étant dit, quelles sont les principales zones sismiques des Alpes ?
La première carte de répartition (Rothé, 1941, fig. 1) distinguait seulement deux arcs plus ou moins concentriques : un arc briançonnais (ainsi désigné parce qu'il passait par Briançon mais ne correspondait pas à la zone briançonnaise des géologues), et un arc piémontais, situé en bordure de la plaine du Pô. La fig. 2 montre la situation actuelle. On y retrouve bien les deux arcs de Rothé, briançonnais et piémontais (1 et 2) mais, en plus, un arc padan (3) , l'Embrunais-Ubaye (4), l'avant-pays alpin dauphinois et savoyard, c'est-à-dire les chaînes subalpines du Nord (5 et 6), l'avant-pays alpin provençal et niçois (7).

Fig. 2 (taille maxi)
Répartition des séismes alpins, données actuelles et principaux alignements observables.
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Commençons par les zones internes (fig.2, alignements 1,2,3).

L'arc briançonnais (alignement 1), au sens de Rothé, se suit depuis le revers oriental du mont Blanc, au nord, jusqu'en arrière de l'Argentera, au sud. Il recouvre des zones tectoniques variées (Valaisan, Subbriançonnais, Briançonnais, Piémontais s.l.) et reste partout parallèle au chevauchement pennique frontal. Les foyers sismiques sont relativement superficiels (entre 3 et 10 km de profondeur. Les solutions focales montrent un champ radial (c'est-à-dire toujours perpendiculaire à l'arc alpin mais ce qui est surtout important c'est que ce champ est distensif, conclusion assez inattendue dans une chaîne de collision. Il se manifeste au niveau de failles normales et, surtout de grands décrochements longitudinaux. C'est dans la région de Briançon que les choses sont le plus nette, avec :

1 - la « faille de la Durance », ainsi appelée parce qu'elle détermine le tracé de cette rivière entre l'Argentière et Guillestre. Elle est jalonnée par le fameux épicentre de Plan-de-Phasy, entre Guillestre et St Clément, qui est le siège d'une activité presque incessante si l'on tient compte des microséismes. Cette faille a une forte composante verticale parce que la rive droite (massif de Gaulent) est surélevé par rapport à la rive gauche, et montre aussi un léger coulissement dextre.
2 ­ la « faille de la Clarée », ainsi appelée parce qu'elle détermine le tronçon N-S de cette vallée entre Briançon et Névache. Elle a été le siège du séisme de Cervières en 1991, qui a montré un coulissement dextre avec des magnitudes comprises entre 3,6 et 4,7., et comme la précédente, une composante verticale (soulèvement de la rive droite).

Fig. 3 (taille maxi)
Les grands accidents sismiques du Briançonnais
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On pense que le coulissement dextre de ces failles serait lié à la rotation antihoraire du bloc insubrien, d'âge néogène (fig.4), rotation démontrée par les données paléomagnétiques et sur lequel nous reviendrons. Il faut cependant préciser que ce n'est pas la rotation en question qui a créé le réseau des failles briançonnaises. Elle a fait rejouer un réseau antérieur, lié, quant à lui, à la mise en place des nappes à l'Eocène supérieur-Oligocène, 20 Ma d'année auparavant.

Fig. 4 (taille maxi)
Arc alpin et rotation du bloc insubrien
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L'arc sismique briançonnais se prolonge dans l'Embrunais (4) où le régime distensif persiste. On sait que cette région correspond à une inflexion de la surface du socle ancien dans laquelle sont venues se mettre en place des nappes d'origine diverse, ultérieurement découpées par de nombreuses failles décrochantes NW-SE dont certaines prolongent celles du Briançonnais (fig.3 ). Elles sont aussi le siège d'une forte sismicité avec des magnitudes supérieures à 5

C'est le cas de la « faille de Sérenne », dans la vallée de l'Ubaye, qui court, en fait, depuis Guillestre au N jusqu'aux abords du col de Larche au S et provoque le décrochement dextre de la pointe NW de l'Argentera. Elle a été le siège d'un fort tremblement de terre (M = 5,5) en 1959, qui a causé des dégâts aux habitations et au clocher de l'église de Sérenne, en amont de St Paul-sur -Ubaye, puis en 1974 et 1989.
Une autre caractéristique de cette sismicité est la longueur de l'activité. Le jeu de la faille de la Condamine (en aval de St Paul-sur-Ubaye) par exemple, à commencé en juin 2003, avec plus de 15000 secousses (magnitude maximale de 2,7) et a duré plus de 20 mois.

Les foyers ont toujours des profondeurs de 2 à 8 km, et jalonnent des plans verticaux presque N-S sur de longues distances (jusqu'à 8 km). Ils correspondent généralement aux grandes failles de décrochement qui affectent ce secteur. De fait, les 2/3 des mécanismes au foyer témoignent de décrochements dextres, le 1/3 restant correspondant à un jeu en faille normale, avec une extension E-W, analogue à celle qui régnait dans les environs de Briançon.

L'Embrunais et ses décrochements se terminent au col de Larche. Au delà, c'est-à-dire sur le versant italien de l'Argentera, et d'une façon plus générale au fur et à mesure que l'on se rapproche de la plaine padane, les jeux deviennent compressifs et réutilisent toujours les anciens plans d'accidents chevauchants. On passe ainsi à l'arc sismique piémontais.

 

L'arc piémontais (alignement 2) suit la bordure W de la plaine du Pô. Géologiquement parlant, il correspond au contact entre Pennique et Sudalpin, ou, si l'on vent, à la bordure W de la remontée du manteau caractéristique de cette zone (anomalie gravimétrique d'Ivrée). Les foyers sont entre 10 et 15 km de profondeur.

A titre d'exemple, la région de Turin a été secouée en 1980, 1981, 1983, 1987, 1992, 1994., avec des magnitudes de l'ordre de 3 à 5 et une profondeur de 11 km. Les anciennes vallées dauphinoises du versant piémontais ne sont pas non plus épargnées (Val Pellice : 1808, Pignerol-Val Chisone : 1753, 1808 , 1858, 1947, 1980. Ceux de 1808 et de 1980 furent ressentis jusqu'à Gap et Grenoble).

Pendant longtemps on a considérés ces séismes comme liés à l'effondrement des Alpes piémontaises sous le bassin du Pô. En fait, les mécanismes au foyer indiquent un régime compressif orienté NE-SW. On serait donc ici dans la logique de la collision apulienne proprement dite, qui marche de pair avec sa rotation antihoraire.

L'arc padan (alignement 3), nouvellement identifié au sud de Turin, paraît concentrique au précédent (fig.2) mais se situe à l'E de la remontée du manteau précédemment évoqué, c'est-à-dire sous la plaine du Pô. Ses foyers sont beaucoup plus profonds (jusqu'à plus de 100 km) et leur magnitude apparemment plus faible. Le régime compressif y est la règle, d'orientation E-W.

Fig. 5 (taille maxi)
Position des foyers piémontais et padans (sur coupe sismique)
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Il serait tentant de relier ces trois premiers arcs sismiques (briançonnais, piémontais et padan) à une subduction intracontinentale de l'Europe sous le bloc sudalpin, subduction dont la pente s'exagérerait vers l'E, mais si l'on superpose les zones sismiques correspondantes et le profil ECORS (fig.5), on voit que la plus orientale correspond à la surface d'affrontement de la lithosphère sudalpine contre la lithosphère européenne : c'est donc toujours le processus de collision qui est en jeu. Les deux autres représentent le jeu des failles décrochantes, distensives et compressives évoquées plus haut. La profondeur de certains foyers montre que ce sont les anciennes surfaces de chevauchement reconnues par le profil ECORS, qui ont rejoué là de façon diverse, à plat, mais reliées entre elles et avec la surface par des rampes ou des failles de distension récentes plus ou moins verticales.

 

Passons maintenant aux zones externes. La sismicité est nette dans les chaînes subalpines du Nord, d'une part, et dans celles de haute Provence et du pays niçois, d'autre part. Entre les deux , existe une zone où l'activité est quasi nulle, ce qui reste inexpliqué, d'autant plus qu'on y voit côte à côte l'ancien bassin vocontien et l'ensemble Pelvoux-Grandes Rousses qui sont de structure géologique très différente.

L'avant-pays alpin dauphinois et savoyard (fig.2, alignements 5,6)
Il regroupe les régions de Grenoble, Chambéry, Annecy et Genève où la séismicité reprend avec des foyers situés entre 5 et 15 km de profondeur.
Deux alignements peuvent y être observés dont le plus net est celui qui longe à l'W le massif de Belledonne et le petit massif de la Mure sur près de 50 km (5). Le second (6), de direction
légèrement différente (WSW-ENE) va de Chambéry à Annecy, puis se renforce au N du massif des Aiguilles Rouges jusque dans le Valais.

- La zone sismique longeant le massif de Belledonne sur 50 km (fig.2, 5) est si rcctiligne qu'on l'interprète comme le jeu d'une « faille de Belledonne », invisible en surface, si bien que ce pourrait être tout aussi bien un faisceau de failles. De toute façon, cette « faille de Belledonne » affecte le socle car la profondeur moyenne des séismes est de l'ordre de 7 km. La direction cévenole de ce linéament porte à croire qu'il s'agirait du rejeu d'un accident tardihercynie, de type cévenol. Plus de 150 séismes y sont connus avec des magnitudes ne dépassant jamais 3,5. Tous les mécanismes au foyer indiquent un jeu en décrochement dextre, avec une composante compressive vers le NW.
Ces séismes agitent périodiquement le bassin grenoblois jurassique (1933, 1937, 1961, 1979, 1980, puis une série de secousses quasi annuelles 1992, 1994, 1995, 1996, 1997) mais sans y causer de dégâts bien que les secousses soient amplifiées par les alluvions gorgées d'eau alors que les reliefs bordiers, faits de roche en place, ne les ressentent qu'à peine.

Il faut cependant remarquer que certains des séismes ressentis à Grenoble n'étaient pas locaux, l'épicentre pouvant être fort loin (Pignerol,en 1980,Udine, en 1976, qui fit osciller les trois tours de l'Ile Verte, etc).

Un cas un peu particulier est celui de Laffrey, qui a été le siège du plus fort séisme de cette bande, en 1999 (M = 3,5, et degré 6 dans l'échelle de Mercalli). Il a donné quelques répliques depuis (2 oct.05 notamment). En fait le foyer était à 3 km au SW du village, sous le Connex, à 3 km de profondeur, mais le mécanisme au foyer donne un décrochement sénestre sur un plan de faille NW-SE, donc perpendiculaire à la « faille de Belledonne ». Est-ce une faille conjuguée ? ou un décalage en baïonnette de la faille de Belledonne ?
Il faut aussi signaler qu'en 1963, la mise en eau du barrage de Monteynard a fait jouer le prolongement sud de la faille de Belledonne, déclenchant ainsi un séisme artificiel qui a frôlé la magnitude 5 mais sans causer de dommage au barrage.

Quant au séisme de Corrençon (1962, M=5,3 et degré 7 à 8 dans l'échelle de Mercalli), son isolement au milieu du Vercors le rend peu interprétable géologiquement Sa profondeur estimée (5 km ?) montre qu'il s'agit d'une faille de socle, satellite de celle de Belledonne, ou d'un accident conjugué type Laffrey. Sa magnitude élevée reste également surprenante.

- L'arc savoyard (fig.2, alignement 6). A la différence du précédent, il recoupe en oblique les unités structurales de la zone externe. Comme les foyers se situent entre 5 et 15 km de profondeur, donc dans le socle, ils doivent traduire, une fois de plus, le rejeu d'accidents anciens. Et, de fait, les directions focales obtenues sont celles des diverses générations de failles hercyniennes connues dans le massif de Belledonne.

Celui-ci montre en effet des failles N 40 (comme le « synclinal médian » ou la faille bordière orientale), et des failles N 60 (comme celles qui découpent le granite des Sept-Laux), plus obliques par rapport à l'allongement général du massif. On retrouve bien les direction des deux tronçons de l'arc savoyard.

Le séisme le plus violent de cet arc a été celui du Grand Bornand (1994), dans le massif des Bornes , de magnitude 5,1, avec un foyer à 9 km de profondeur sous le plateau des Glières, dans un accident N 40 donc de direction cévenole. La faille a joué en décrochement dextre, mais avec une composante compressive, chevauchante traduisant que le plissement alpin se poursuit toujours vers l'extérieur de la chaîne. Ces conclusions peuvent être généralisées à l'ensemble de l'arc savoyard.
Un cas un peu particulier est celui d'Annecy-Epagny (aéroport d'Annecy), 1996, de magnitude 5,3, plus superficiel (2 km de profondeur). En fait l'accident qui a joué n'est pas alpin, mais jurassien. C'est la faille du Vuache (NNW-SSE), un des classiques décrochements sénestres de la chaîne du Jura (dont le Salève est le prolongement). Ce n'est pas un séisme alpin.

Sur l'arc savoyard, vient se greffer le synclinal de Chamonix qui est une région fortement active. Qu'on en juge par les quelques dates suivantes : 1817, 1855, 1906, 1952, 1982, 1986, 1988, sans oublier le tout récent séisme du 8 septembre 2005, de magnitude 4,6, dont l'épicentre se situait au niveau du col des Montets, l'hypocentre étant à une dizaine de kilomètres de profondeur. Les mécanismes au foyer ne sont pas tous connus mais les microstructures du synclinal de Chamonix révèlent assez systématiquement des décrochements dextres. On peut donc admettre une fois de plus que c'est le jeu dominant des failles actives de cette région, mais toujours avec une composante compressive.

Fig. 6 (taille maxi)
Carte structurale de l'avant-pays alpin méridional
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L'avant-pays alpin méridional (fig.2 - alignements 7,8 et fig.6))
Du versant français de l'Argentera jusqu'à la région de Nice et même au delà, sous la mer, l'activité sismique est intense mais son interprétation complexe.
De l'Embrunais méridional au dôme de Barrot, le système des décrochements dextres se poursuit, mais au delà de ce dôme les choses changent et les décrochements disparaissent, car le régime distensif qui régnait jusqu'alors fait place à un régime compressif transmis par l'Argentera. Sur le versant italien de ce massif, en effet, les anciens plans de chevauchement penniques rejouent en compression vers le SW, avec une composante verticale nette, et la compression est transmise à l'avant-pays et à ses accidents chevauchants à vergence SW.

Mais ceux-ci interfèrent avec d'autres qui leur sont perpendiculaires et toujours injectés de gypse triasique(fig.6) : accidents de Castellane-Daluis, de la haute Vésubie et de la Roya. Leur direction NE-SW est celle de structures téthysiennes. La stratigraphie et les paléostructures locales révèlent en effet l'existence de blocs basculés ayant acquis cette orientation au Jurassique.
Le plus actif sismiquement parlant est celui de la haute Vésubie (région de la Roquebilière - Lantosque).

De forts séismes y sont intervenus à plusieurs reprises dans les cinq derniers siècles. Le plus violent fut celui de 1564 qui détruisit presque complètement les villages de la Bollène-Vésubie et Roquebilière (500 morts). Les secousses continuent de nos jours mais certaines ne relèvent pas de notre analyse étant l'écho de séismes dont l'épicentre n'était pas dans la Vésubie. C'est en particulier le cas de celui de 1887 qui causa de graves dégâts à la Bollène et ses environs mais dont l'épicentre était en mer, au large de San Rémo et dont les effets se firent sentir de Nice jusqu'à Gênes et causèrent 600 morts.

La région de Nice elle-même est extrêmement active car c'est un véritable nud tectonique où convergent la fin de l'arc de Castellane, l'accident de la Roya, et les structures tectoniques, à vergence S, de l'arc de Nice traduisant une compression vers le S. C'est évidemment celle de l'Argentera qui a progressivement tourné, car la pression exercée par la microplaque adriatique reste toujours perpendiculaire à l'arc alpin. Ce régime compressif se retrouve dans les solutions focales de quelques séismes sous-marins de la côte ligure (fig. 2, alignement 9).

D'autres séismes sous-marins de la côte ligure ont une origine différente. Ils traduisent des failles normales ou des flexures dont le jeu est suffisamment énergique pour avoir déclenché un raz de marée en 1887 et 1979, avec une vague de 1m de hauteur). Ces accidents peuvent entraîner des glissements sous-marins de panneaux côtiers (le glissement de 1979 avait provoqué l'effondrement partiel de l'aéroport de Nice le long du canyon sous-marin creusé par le Var). Il s'agit donc d'une tectonique sans rapport avec le plissement alpin, mais liée au jeu d'une flexure côtière (fig. 7) dont l'activité remonte au Pliocène avec le soulèvement épiorogénique de la Provence.

Fig. 7 (taille maxi)
Coupe sismique de la flexure continentale sur la côte niçoise
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Que conclure de cet examen de la sismicité des Alpes franco-italiennes ?

Le rôle de la microplaque adriatique apparaît déterminant. Après être entrée en collision avec le bâti européen dès la fin de l'Eocène, elle amorce dès le Néogène une rotation en sens antihoraire : les anciennes structures, alpines ou hercyniennes, rejouent alors de façon différente suivant les points mais dans l'ensemble les mouvements de coulissements dextres dominent, enveloppant la tête du poinçon

Fig. 8 (taille maxi)
Pôles de rotation proposés pour la micro-plaque insubrienne
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Cette rotation n'est certainement pas simple car on n'est toujours pas arrivé à déterminer le pôle de rotation (fig.8). Par ailleurs, l'interférence de la rotation et de la collision produit un champ de contrainte qui, bien que radial (c'est-à-dire orthogonal à l'arc dans toutes ses parties, fig. 9), n'est pas compressif partout comme on l'a cru longtemps. Il y a aussi des contraintes distensives dans une grande partie des zones internes (fig. 10). La compression affecte seulement le versant piémontais des Alpes et le front subalpin (où elle s'accompagne, là aussi, de décrochements dextres). Autrement dit, la zone en extension est prise en sandwich entre les zones en compression.

Fig. 9 (taille maxi)
Champ de force des ondes P autour du poinçon insubrien
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Fig. 10 (taille maxi)
Répartition des types de mouvements sismiques dans l'arc alpin occidental
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La cause de cette disposition n'est pas encore très claire.

On pourrait penser à un affaissement du coeur de la chaîne sous son propre poids, mais de la chaîne non encore achevée d'où la compression sur ses bordures. Il faut cependant remarquer que les zones internes franco-italiennes ne sont pas les seules à s'enfoncer. En effet toute la marge insubrienne s'enfonce aussi et ceci depuis la fin de l'Oligocène-Miocène inférieur (âge des premiers produits détritiques alpins qui la recouvrent sur la pourtour de la plaine piémontaise), en englobant aussi l'intumescence mantellique responsable de l'anomalie gravimétrique d'Ivrée, et en continuant à exercer une pression sur le bâti européen..

Fig. 11 (taille maxi)
Interprétation au niveau des mouvements de plaques des lignes sismiques et de leurs caractères de mouvements
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Autrement dit, cet enfoncement se fait en régime compressif pour le matériel insubrien et en régime distensif pour le matériel pennique. Tout se passe donc comme si l'ensemble, quel que soit son régime, était tiré en profondeur. Mais tiré par quoi ? On a pensé à une sorte de subduction de la lithosphère européenne sous la lithosphère insubrienne (fig.11), subduction qui exprimerait le raccourcissement subi par le domaine alpin dans le processus de collision interplaques. Cette subduction lithosphérique n'apparaît cependant pas sur le profil tomographique des Alpes et de la plaine du Pô (fig.12), et rend mal compte de la dualité des régimes de contraintes régnant en surface.

Fig. 12 (taille maxi)
Coupe tomographique W-E du massif central à l'adriatique.
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Documents divers en annexe

Le couloir sismique de la moyenne Durance est caractérisé par un alignement d'épicentres régulier (Manosque, Beaumont, Volx) dont l'activité est ancienne (Manosque 1509, 1708, Beaumont-Volx 1812, 1835, 1852, 1858, 1897, 1913, 1938, pour ne citer que les plus importants qui firent beaucoup de dégâts). On peut dire que cet accident donne un séisme de magnitude moyenne 5,5 par siècle.
Il s'agit d'un linéament important que l'on suit de Digne jusqu'à Aix-en-Provence et la rade de Marseille, linéament qui limite à l'W le bassin néogène de Digne-Valensole. De direction
cévenole, il représente à l'évidence le rejeu d'un vieil accident hercynien réactivé par la collision. Mais ici le jeu est celui d'un coulissement (sénestre puisqu'il déplace un panneau W-provençal vers le S).
L'existence de ce décrochement actif permet de comprendre les réserves émises pour le développement de la centrale nucléaire de Cadarache qui se situe à 8 km à l'E de son trajet.

A proximité, on ne peut pas ne pas évoquer le cas du fameux séisme de Lambesc, du 11 juin 1909 qui fit 40 morts, de magnitude estimée 6,2 et dont le foyer était relativement superficiel (entre 2 et 5 km). Il n'était pas le premier car en 1227 un séisme aussi violent avait frappé cette région. Le séisme de 1909 est manifestement lié à un accident tectonique E-W, provençal, le pli de la Trévaresse qui a donc rejoué, à moins qu'il ne s'agisse d'une faille satellite du couloir sismique de la moyenne Durance dont nous venons de parler. Mais, de toute façon, il traduit bien la collision Afrique-Europe à vergence N, toujours en cours.

Dans le couloir rhodanien, d'Avignon au Sud, jusqu'à la bordure du Jura au Nord, court une zone sismique jalonnée par le Tricastin (c'est-à-dire la région de St Paul-Trois-Châteaux où les séismes ont été les plus forts et les plus fréquents de la région depuis plusieurs siècles), le bas Dauphiné (séisme de 480 pour lequel l'évêque de Vienne demanda des prières publiques, Châbons, 5 juin 1988 et 14 septembre 1999, La Tour-du-Pin, 28 janv.2004, Virieu, février 2004, avec des magnitudes de l'ordre de 3), et enfin le front du Jura à l'est de Lyon (séisme de Montbéliard en 2003). Au delà, on arrive au fossé alsacien, également sismique.

Rappelons qu'il s'agit d'un axe de fragilité du vieux socle français, qui date de l'Oligocène. A cette époque, en effet, l'Europe occidentale a failli se couper en deux suivant cet axe, la partie Ouest se détachant de la partie Est pour partir à la dérive dans l'Atlantique. En fait cette craquelure géante a avorté et s'est transformée en un alignement plus ou moins continu de fossés garnis de lacs et de lagunes salées, c'est-à-dire de dépressions où venait mourir la mer alpine rejetée vers l'ouest par la surrection de la jeune chaîne. Vers la fin de l'ère tertiaire, la Méditerranée l'a envahie à deux reprises jusqu'à Lyon mais le plissement alpin l'a chaque fois fait reculer. Il n'empêche qu'on a là une zone fracturée, encore active, qui court de la Méditerranée à la basse vallée du Rhin (séisme de Maastricht).

Revenons à sa traversée du Dauphiné. Là où son jeu est le plus évident, en Tricastin, on peut le relier à l'effondrement de petits compartiments du fond de la vallée, situés entre St Paul-Trois-Châteaux, Pierrelatte et Clansayes (profondeur des foyers de l'ordre de 4,5 km). Le célèbre rocher de Pierrelatte est le reste d'un compartiment effondré sous les alluvions du Rhône. Un tel effondrement en cours indique un régime distensif c'est-à-dire que les deux bords de cette grande fracture tendraient à s'éloigner l'un de l'autre comme ils l'ont déjà fait au Tertiaire