Structure et histoire géologiques du plateau de Champagnier
texte inédit, rédigé par J.Debelmas, professeur honoraire à l'Université de Grenoble, mars 2006

Le plateau de Champagnier est un ensemble de couches caillouteuses anciennes (quaternaires) que l'érosion tant fluviatile que glaciaire a isolé et conservé à une altitude moyenne de 400 m environ, soit donc 200 m au dessus de celle de l'agglomération grenobloise. Ce plateau est limité au Nord et à l'Est par des reliefs calcaires qui donnent aussi la côte isolée de Champagnier - Montavie.

Les reliefs calcaires

Ce sont des calcaires marneux d'âge jurassique inférieur à moyen appartenant à la couverture sédimentaire du massif de Belledonne, ce qui explique que les couches soient inclinés vers l'WNW. Leur âge augmente d'Ouest en Est : la côte Saut du Moine ­ Champagnier - Montavie est jurassique moyen (170 millions d'années), les reliefs de Montchaboud ­ Crêt d'Uriage du Jurassique inférieur (ou Lias, 190 Ma). Ces calcaires se débitent en schistes, la schistosité masquant souvent l'ancienne stratification. Ce débit est la conséquence de l'écrasement des couches au cours du plissement alpin.
Les crêtes sont séparées par des couches plus marneuses que l'érosion glaciaire a fortement entaillées et que les alluvions caillouteuses ou les moraines masquent complètement.

Les terrains quaternaires

Pour comprendre l'histoire de leur dépôt, il est indispensable de rappeler auparavant les grands traits de l'histoire géologique de la région au Quaternaire (voir le tableau chronologique ci-après).
Deux grandes glaciations alpines y sont connues, celle du Riss (qui se termine vers - 100 000) et celle du Würm (- 70 000 à - 20 000). Elles sont séparées par un interglaciaire de 30 000 ans, où les glaciers avaient quitté le bassin de Grenoble qui était devenu un lac comparable au lac de Côme actuel. Le Würm comprend quatre stades :
Le Würm 1 : humide et froid, mais au cours duquel les glaciers n'atteignent pas encore la région grenobloise. Ses conditions y prolongent donc, en plus froid, celles de l'interglaciaire Riss-Würm.
Le Würm 2 : très froid, correspond au maximum d'avancée glaciaire. La cuvette grenobloise est donc envahie jusqu'à une altitude de l'ordre de 900 m et ce jusque vers - 45 000 ans environ. Le glacier recule ensuite et quitte la région grenobloise après l'avoir surcreusée. Le Grésivaudan devient à nouveau un lac qui est ensuite comblé d'alluvions fluvioglaciaires.
Le Würm 3 : moins froid mais humide et très long, il voit une nouvelle avancée glaciaire dans les vallées de la Romanche et de l'Isère, avancée qui se limite à des altitudes ne dépassant pas la cote 400.
Le Würm 4 : nouvelle et dernière poussée du froid qui n'a pas de conséquences sensibles sur l'extension glaciaire dans la région grenobloise, plus ou moins lacustre et progressivement envahie par les alluvions fluvioglaciaires de la plaine actuelle.

L'essentiel des terrains quaternaires constituant le plateau de Champagnier est représenté par des cailloutis à galets arrondis emballés dans une matrice sableuse grossière, le tout disposé en couches horizontales plus ou moins continues et régulières. On peut les observer dans de bonnes conditions le long de la petite route qui part du Saut du Moine et monte à Champagnier en passant au dessus de l'usine électrochimique, ainsi que dans la carrière d'Eybens, au départ de la route rejoignant Bresson..
Il s'agit d'alluvions fluvioglaciaires qui ont comblé l'ombilic lacustre de Grenoble (car on en trouve des traces en d'autres points que le plateau de Champagnier). Elles ont été apportées par les eaux de fonte des glaciers de l'Isère et de la Romanche et leur volume implique le recul d'un glacier important qui ne pouvait donc être que celui du Würm 2. On peut donc les attribuer à l'interglaciaire W2-W3 (qui se situe autour de 35-45 000 ans).

 

En revanche, ce qu'il y a au dessous d'eux est plus difficile à interpréter et à dater, à savoir les argiles d'Eybens. Pour comprendre leur position, il faut partir de la carrière d'Eybens (fig.1).


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Dans la carrière, les cailloutis décrits précédemment ravinent des sables purs, visibles sur 12 à 15 m de hauteur, qui, au fond de la carrière ravinent eux mêmes des argiles identiques à celles qui ont été exploitées jadis à la « tuilerie d'Eybens », 1 km plus à l'Est. La carrière, abandonnée dans les années 50, a disparu sous la végétation et les habitations.
Un forage effectué à leur emplacement en 1969 a traversé 86 m de ces argiles, très homogènes. Il s'agit d'un ancien dépôt lacustre en climat tempéré frais (pollens fossiles de pins, bouleaux, aulnes et noisetiers). Aspect finement lité avec une couche d'hiver, sombre, et une couche d'été, plus épaisse et plus claire, l'ensemble de l'ordre du demi-centimètre.
On y a trouvé un tronc de pin fossile. Un essai de datation par le C14 indique seulement que son âge serait supérieur à 45 000 ans. Comme il n'y avait aucune forêt de pins lors de la grande glaciation du Würm 2, ce pin et les argiles encaissantes datent donc d'une période interglaciaire plus ancienne.

Les argiles varvées de type Eybens se rencontrent aussi, ici et là, dans tout le Grésivaudan, de Tullins à Montmélian et montrent des épaisseurs de l'ordre de 300 à 350 m. Les varves annuelles étant de 0,5 à 1 cm, leur empilement implique une durée de dépôt de l'ordre de 30 à 70 000 ans. On les attribue donc à l'interglaciaire Riss-Würm, (probablement prolongé par le Würm 1 jusque vers ­ 50 000), interglaciaire au cours duquel la région grenobloise était en effet un lac. Le ravinement qui les sépare des sables et cailloutis sus-jacents (voir fig. 1) correspond à une longue période d'érosion ou de non-dépôt par suite du stationnement du glacier würmien.
A une exception près toutefois : il existe, en un seul point du plateau de Champagnier, une moraine ancienne que l'on pourrait rattacher à l'un des épisodes glaciaires de cette longue période d'érosion ou de non-dépôt. Cet affleurement se situe sur le bord ouest du plateau, à la base du Bois de Marcelline, là où il atteint la voie ferré (fig. 2). On y voyait jadis une argile bleue sombre, compacte, non varvée, à cailloux striés. Elle est désormais masquée par les éboulements des cailloutis sus-jacents. Sa nature argileuse pourrait la faire considérer comme une moraine de fond (c'est-à-dire déposée sous le glacier). On l'attribue au Rissien mais elle pourrait aussi être du Würm 2. Ses relations avec les argiles d'Eybens ne sont malheureusement pas visibles.

Les moraines supérieures (Würm 3). Elles appartiennent au glacier de l'Isère et à celui de la Romanche qui sont redescendus dans la région vers ­35 000.
Les moraines iséroises s'observent au débouché de la combe d'Eybens, surtout en rive droite, au camp de Poisat.
Les moraines romanchoises n'existent sur le plateau de Champagnier, ainsi que dans les vallées mortes de la Basse Jarrie et de Vaulnaveys. Sur le plateau, et contrairement à ce qu'indique la carte géologique (feuille Vif, 50000e), elles forment seulement des placages discontinus, notamment autour de l'étang de Jarrie, ceinturé au NW par un véritable arc morainique. Par ailleurs, ces placages se limitent à la région de Champagnier même, d'altitude moyenne 400 m, donc plus bas (60 m environ) que le plateau de Brié qui est, lui, dépourvu de moraines.
La disposition des vallums morainiques des environs de Champagnier montre qu'ils ont été déposés par une langue glaciaire tardive qui remontait de la Romanche par la vallée morte de la Basse Jarrie. A son débouché sur le plateau, cette langue glaciaire a raboté le secteur de Champagnier qui s'est ainsi trouvé abaissé par rapport au secteur de Brié sur lequel le glacier n'a pas pénétré.
Du bord Nord de cette langue glaciaire sortaient des torrents d'eau de fonte qui ont creusé de petites gorges descendant vers l'ombilic de Grenoble, gorges devenues sèches après la disparition de la calotte glaciaire stationnant à l'emplacement de l'étang de Jarrie. Certaines de ces vallées mortes arrivent jusqu'à la plaine actuelle (et même se prolongent au dessous) comme la Grand Combe, tandis que d'autres restent suspendues (ravin de la Gouderie, vallons de l'Oratoire et de Bresson, terminés par de petits cônes de déjection également fossiles). La raison en est que le niveau de base où elles aboutissaient pouvait être soit le glacier de l'Isère dont la surface devait avoisiner 250 m, soit le lac qui lui a succédé, à une cote plus basse.
Sur sa marge Est, la langue glaciaire de Champagnier-Jarrie donnait aussi naissance à des écoulements qui ont creusé deux vallons (morts, une fois de plus), le premier joignant le golf de Bresson au village de même nom (vallon de Jolie-Vache), le second, d'abord moins marqué, que suit la D 112 jusqu'à Tavernolle, mais qui s'approfondit ensuite dans la Combe d'Eybens où il reçoit les eaux drainant le bassin d'Herbeys.

Vallée de Vaulnaveys-Uriage
Elle est extérieure au plateau de Champagnier mais a participé à l'histoire de son cadre géologique et mérite donc un bref développement. C'est encore une vallée morte, aménagée par le glacier würmien à son maximum. A ce stade, se déposaient partout des moraines que l'on retrouve encore, en hauteur, sur le versant oriental de la vallée, de St Martin d'Uriage à Belmont (au dessus de Vaulnaveys), et en quelques points du versant ouest (Villeneuve, Haut Brié). Au niveau d'Uriage, le glacier würmien provenait de la soudure d'une langue dépendant du glacier de l'Isère, langue qui occupait la vallée du Sonnant, et d'une autre langue dépendant, elle, du glacier de la Romanche et qui occupait la vallée de Vaulnaveys. Plus importante que celle de l'Isère, elle s'avançait jusqu'au hameau de Villeneuve, dominant la gorge du Sonnant, où les cailloux de la moraine sont typiques du glacier de la Romanche. A la décrue, ces deux langues se sont séparées : on voit encore à la sortie sud d'Uriage les moraines frontales abandonnées par la langue de Vaulnaveys.

Au Würm 3, le glacier de la Romanche a réoccupé cette vallée et l'a remontée jusqu'aux Guichards où existe un petite arc morainique presque complet. Mais le rempart liasique de la côte de Montchaboud ne lui a pas permis de déborder sur le plateau de Brié. Tout au plus la surface du glacier pouvait-elle atteindre la trouée de Brié Bas, envoyant ainsi des écoulements diffus sur le plateau de Brié. La brèche de Brié Bas est donc un seuil où se mélangent des produits morainiques variés, appartenant au Würm 3 (arc morainique des Guichards) et au Würm 2 (moraines résiduelles de Haut Brié).

On peut résumer la structure géologique du plateau de Champagnier par la figure 2.


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Histoire géologique du plateau de Champagnier
(voir le tableau chronologique, fig. 3, ci-après)

Replaçons-nous par la pensée à 40 ou 45 000 ans de nous. Le glacier du Würm 2 a reculé et nous sommes dans l'interglaciaire qui a suivi. La cuvette grenobloise est remplie par des alluvions fluvioglaciaires (les cailloutis de Champagnier) apportées par les eaux de fonte des glaciers de l'Isère et de la Romanche qui ont comblé l'ombilic lacustre de Grenoble.
Vers ­ 35 000, une nouvelle période froide commence, le Würm 3. Ces deux glaciers redescendent dans le bassin grenoblois et, comme aux stades précédents, surcreusent les alluvions qui le remplissent, en épargnant le secteur du futur plateau de Champagnier qui va donc apparaître comme une sorte de terrasse résiduelle dominant le glacier.

Le glacier de la Romanche, mieux alimenté que celui de l'Isère par sa proximité des reliefs, envoie des langues dans des vallées adjacentes comme celle de Vaulnaveys ou de la Basse Jarrie [ Dans la plaine, ce glacier a-t-il franchi l'obstacle que représentait l'arête calcaire de la côte de Champagnier et son prolongement sud (Les Mollots) ? C'est probable mais rien ne permet de l'affirmer, si bien que certains géologues pensent que le front du glacier de la Romanche était entièrement représenté par le lobe de Jarrie. L'érosion du bord W du plateau de Champagnier serait donc fluviatile et due au Drac.]. Dans la première, le glacier monte jusqu'aux Guichards où il dépose une moraine frontale, sans pénétrer sur le plateau de Brié dont il est séparé par une crête rocheuse. Dans la seconde, il monte jusqu'à la Haute Jarrie où il s'étale en édifiant un amphithéâtre morainique, au travers duquel ses eaux de fonte creusent de petites gorges de raccordement dans lesquelles ils descendent vers l'ombilic de Grenoble où la glace constitue le niveau de base.
Le glacier de l'Isère, moins alimenté, envahit à peine la marge nord du plateau, car ses traces ne subsistent que sur les replats situés au pied de la butte de Montavie et au Camp de Poisat.

Puis la décrue commence (vers ­ 30 000 ?). Côté Romanche, le lobe de la Haute Jarrie s'isole en un culot de glace qui fondra peu à peu en donnant naissance à l'étang de Jarrie. Ses eaux de fonte se tarissent et les gorges de raccordement deviennent des vallées mortes. Dans celle de Vaulnaveys, le glacier redescend aussi vers Vizille et va fondre en laissant place à un lac remplissant l'ombilic de cette localité
Côté Isère, le lobe de Montavie disparaît et celui de Poisat descend vers la vallée en édifiant des arcs morainiques de retrait. Comme témoin de cette décrue, on peut aussi citer la petite terrasse sableuse du Crey, en contrebas du village de Bresson et pratiquement au niveau de la vallée actuelle, déposée par les eaux de fonte du glacier au cours de son retrait (fig.4) .

En résumé, le plateau de Champagnier est un témoin du remplissage alluvial ou lacustre de la cuvette grenobloise tel qu'il était à 40 000 ans de nous. Il nous montre aussi quelques témoins morainiques de la dernière poussée glaciaire qui l'a envahi entre - 35 000 et ­30 000 ans. Il est donc précieux pour les géologues car tous ces évènements n'ont laissé que bien de traces dans le reste de la cuvette grenobloise devenue un lac après le départ définitif des glaciers, lac actuellement comblé par les alluvions que nous y connaissons.

 



fig. 3 - Tableau chronologique des formations quaternaires du plateau de Champagnier


fig. 4 - Le bassin de Grenoble au début de la décrue du Würm 3
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fig. 5 - Carte géologique de détail du plateau de Champagnier et de ses abords
(original dessiné sur le fond de carte au 1/25.000°)
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