Chenaillet

massif des sources de la Durance, au sud du Montgenèvre

Les crêtes rocheuses du Chenaillet sont formées de roches magmatiques qui représentent un fragment des fonds océaniques ligures (voir la page "Stratigraphie"), portés en altitude par la tectonique compressive. Ils ont été respectés par l'érosion car ils se trouvent dans un compartiment isolé, nettement délimité par deux failles E-W, transversales à la ligne de partage des eaux de la chaîne alpine à cette latitude : au sud, près de Cervières, la faille de Roche Moutte, et au nord, à la latitude de Montgenèvre, la faille de Clavière.

Ces deux cassures ont nécessairement un rejet très important car elles juxtaposent au nord (voir les pages "Montgenèvre" et "Chaberton") comme au sud (voir la page "Cervières") des ensembles rocheux très différents, puisque dépourvus de tels affleurements de matériel magmatique. En fait il s'agit du matériel piémontais externe, sur lesquels le matériel magmatique du Chenaillet devrait normalement reposer par charriage (puisque il est d'origine plus interne) : c'est d'ailleurs bien une telle disposition que l'on y observe à la faveur de la petite fenêtre ouverte par le vallon de Gimont.

En caricaturant quelque peu la situation on peut donc dire que le massif du Chenaillet est une klippe (ligure) encastrée par affaissement dans son substratum (piémontais externe).
image sensible au survol et au clic

Le massif du Chenaillet et les alpages du Gondran, vus du nord, depuis le sommet du Chaberton (cliché original obligeamment communiqué par M. Pierre Gidon).
u.Ch
= unité du Chenaillet ; u.LN = unité du Lago Nero ; u.Cb= unité piémontaise du Chaberton ; u.F= unité piémontaise des Fournéous ; u.R= unité piémontaise de Rochebrune ; u.Br = unités briançonnaises.
f.rM = faille transverse de Roche Moutte (Cervières) ; f.Cv = faille transverse de Clavière ; ØL = chevauchement des unités ligures : ØG = chevauchement du Gondran ; f.J = faille du Janus ; f.B = faille des Baisses (= du Rio Secco) : ØPE = chevauchement des unités piémontaises externes.
La portion du fond du vallon de Gimont qui est cerclée par le tracé ØL (= chevauchement des unité ligures) correspond à une fenêtre* au cœur de laquelle affleurent des dolomies noriennes. On peut donc sans doute en conclure que l'unité ligure du Chenaillet repose ici sur l'unité piémontaise externe du Chaberton - Rochebrune et que cette dernière cesse d'affleurer ici par suite d'un important effondrement vertical du compartiment compris entre les deux failles f.Cv et f.rM.


Du côté NW cette "klippe" de matériel ligure est limitée par la faille du Janus (voir la page "Gondran"). Celle-ci se détache en oblique vers le SW du tracé de la faille de Clavière pour converger vers le sud-ouest avec la faille de Roche Moutte. Cette géométrie semble délimiter un saillant qui s'avance en poinçon vers l'ouest mais dont l'extrémité est tronquée par le passage, peu à l'ouest du fort du Gondran, de la grande faille N-S de la Clarée.

À l'ouest du sommet du Chenaillet les prairies du Gondran (où la Durance prend sa source) sont formées par la couverture mésozoïque de la partie de ces fonds océaniques attribués à l'unité du Lago Nero. Leurs affleurements sont séparés de ceux des ophiolites de l'unité du Chenaillet par l'accident du Gondran, orienté presque N-S (ce dernier est en général considéré comme représentant la surface de chevauchement de l'unité de Chenaillet ; il est en tous cas clairement antérieur aux failles limitant transversalement les affleurements ophiolitiques).


Le Chenaillet (versant ouest), vu du sud-ouest depuis les abords du col entre Gondran et Janus.
u.Ch = unité du Chenaillet (nappe ophiolitique supérieure) ; u.LN = unité du Lago Nero (ici : sédiments de couverture de la nappe ophiolitique inférieure) ; ØG = accident du Gondran (chevauchement ?) séparant les deux unités.

L'essentiel du massif du Chenaillet est formé par des basaltes, sous lesquels affleurent aussi des serpentinites (anciennes péridotites, appartenant à la partie supérieure du manteau terrestre) (voir plus de détails en fin de la présente page).
Mais sa structure tectonique n'est pas simple, de sorte que ces laves sont tantôt à l'endroit, reposant sur une semelle de gabbros (comme au pied ouest du Chenaillet), tantôt renversées (surtout à l'est de la vallée de Gimont).

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Les affleurements de la crête nord du Grand Charvia, vus d'avion de l'ouest .
Toute la crête est formée de basaltes en coussins dont la polarité est ici renversée ("pédoncules" des coussins orientés vers le haut). Les teintes, mélangées de vert et de rouille, sont celles soit des cassures de la roche fraîche soit de leur surface patinée (oxydée par les actions météoriques).

Les affleurements basaltiques de ce massif sont célèbres en particulier parce qu'ils montrent localement des exemples remarquables de débit en coussins ("pillow lavas").

La crête de la Collette Verte, au nord du col (piton 2558), vue d'enfilade, du sud-ouest, depuis les pentes du Grand Charvia

Même à cette distance on distingue le débit en boules des basaltes en coussins ("pillow lavas").
Les personnages donnent l'échelle : les boudins de lave, tortillonnés et empilés, avaient une section de taille pluri-métrique,

Dans le versant ouest de la crête du Chenaillet
Un amas de laves en coussins montrant la surface des boudins de lave, dégagée par l'érosion, telle qu'elle devait se présenter sous la mer lors de l'effusion du magma.
Un pillow, vu en section
La position du "pédoncule" indique que l'affleurement est disposé à l'endroit. En effet ce "pédoncule" correspond à la face inférieure du tube de lave, encore mou, qui s'est déformée pour s'insinuer entre deux tubes sous-jacents, déjà indurés (le toit du tube s'est par contre aplati).


Carte structurale schématique
des confins orientaux du Briançonnais entre Névache et Briançon

extrait de la carte d'ensemble du Briançonnais

(légende détaillée à cette page)


On trouvera une description géologique du massif du Chenaillet, à l'usage du grand public, dans l'opuscule édité par le Centre Briançonnais de Géologie Alpine, 35 Rue Pasteur 05100 Briançon : "Le Massif du Chenaillet", par Marcel Lemoine, Raymond Cirio, Gilles Pellet et Robert Keck. J'en ai extrait le résumé d'introduction ci-après :

« Le massif ophiolitique Chenaillet-Montgenèvre est le massif des Alpes où les ophiolites sont le mieux conservées : on y trouve, entre autres, le plus belles laves en coussins ("pillow-lavas") océaniques de France et probablement d'Europe.

II est situé à l'est de Briançon, à cheval sur la frontière franco-italienne. Compris entre deux failles transversales qui le séparent des massifs dolomitiques du Chaberton au nord et de Rochebrune au sud, il comporte deux nappes de charriage superposées. Ces nappes sont toutes deux issues de l'océan Alpin ou Téthys Ligure, un océan disparu datant de l'ère Secondaire (de 170-180 à 65-70 Ma), et d'où sont issues les ophiolites des Alpes, de la Corse et de l'Apennin. Ces deux nappes ophiolitiques sont charriées sur une unité de marge continentale. L'unité océanique (ophiolitique) inférieure est celle du Lago Nero-Replatte, qui a subi une évolution métamorphique (faciès des schistes bleus) et tectonique (plusieurs phases de plissement synschisteux) durant la collision alpine au Tertiaire. L'unité supérieure, celle du Chenaillet, est au contraire pratiquement exempte de métamorphisme et de déformation alpins.

Dans la nappe inférieure Lago Nero-Replatte, les ophiolites sont surtout des péridotites serpentinisées, principalement des lherzolites. Les gabbros sont absents, et les basaltes rares et peu épais (quelques mètres). Les sédiments reposent directement sur ces ophiolites ; ils débutent par des brèches sédimen­taires à ciment calcaire et cailloux de serpentinite (ophicalcites sédimentaires ou OC2), surmontées très localement par de petites coulées de basaltes sous-marins, en coussins ou en brèches de coussins. Localement, à ces brèches à matériel ophiolitique sont associées des brèches à matériel détritique granitique et gneissique. Ces dernières sont issues d'une marge continentale qui était probablement toute proche, et d'où proviennent également des galets dolomitiques, granitiques et gneissiques connus dans les sédiments du Crétacé inférieur de la même nappe de charriage. Au dessus viennent les sédiments océaniques : radiolarites (fin du Jurassique moyen-début du Jurassique supérieur, 180-150 Ma), surmontées de calcaires (Jurassique supérieur, 150-135 Ma), puis de schistes, calcaires et calcscistes (Crétacé, 135 à 80 Ma approximativement). Cette nappe est donc caractérisée par le repos des sédiments (et localement des coulées basaltiques) sur des roches du manteau qui ont été dénudées et portées à l'affleurement sur le fond de l'océan alpin.

 Dans la nappe supérieure du Chenaillet, les sédiments océaniques ont été totalement éliminés par l'érosion au Quaternaire. Seules subsistent les ophiolites, et quelques intercalations de brèches sédimentaires (ophicalcites OC2) à fragments de péridotites serpentinisées, gabbros et basaltes.

Les ophiolites de la nappe du Chenaillet comprennent d'une part des péridotites serpentinisées (principalement des lherzolites) et des gabbros intrusifs dans celles-ci, et d'autre part, reposant sur ces dernières roches, des laves basaltiques en coussins ("pillow-lavas"), épaisses de 300 à 400 mètres. Des filons d'aIbitites et de dolérites ("basaltes") traversent les serpentinites et les gabbros. Les filons doléritiques alimentaient les coulées de basaltes en coussins sus-jacentes.
Certains des gabbros portent les traces de déformations tectoniques et de métamorphisme de haute température, qui les ont par places transformés en gabbros foliés ("flasergabbros") et même en amphibolites. Ces phénomènes se sont produits à faible profondeur (3 à 5 kilomètres), et avant l'épanchement des basaltes, dont les filons nourriciers traversent aussi bien les gabbros non foliés que les gabbros foliés.
Les coulées de basaltes en coussins de la nappe du Chenaillet se sont mises en place sur un fond océanique constitué principalement par les gabbros qui étaient donc déjà refroidis. Elles en sont séparées par des roches sédimentaires détritiques à fragments et grains dus à l'érosion des gabbros.

Une comparaison avec les autres ophiolites des Alpes, celles de la Corse et celles de l'Apennin montre que les ophiolites des deux nappes du massif Chenaillet-Montgenèvre ne sont pas des exceptions, mais rentrent bien dans un cas général. Sur 1.000 à 1.500 kilomètres en suivant la longueur de l'océan alpin, de Florence à Salzbourg en passant par Aoste, les relations des ophiolites entre elles et avec leur couverture de sédiments océaniques restent remarquablement homogènes. Des roches originaires du manteau, péridotites serpentisées avec quelques gabbros intrusifs, ont été portées à l'affleurement au fond de l'océan alpin. Elles ont été recouvertes partout d'une couche (quelques centimètres à quelques dizaines de mètres) de roches détritiques, les ophicalcites OC2, à ciment calcaire et cailloux d'ophiolites qui sont surtout des péridotites serpentinisées, parfois aussi des gabbros. Quelques coulées de basaltes en coussins se sont épanchées, ici et là, sur cette couche sédimentaire. Ce n'est qu'après, à partir de 170­180 Ma, que se sont déposés les sédiments océaniques, radiolarites, calcaires, etc.

Une comparaison avec les océans actuels montre que l'on ne peut pas comparer le fond ophiolitique de l'océan alpin avec les ophiolites de l'Oman ou avec une croûte océanique "litée", construite sous la dorsale d'un océan à expansion rapide (plus de 10 cm/an) comme le Pacifique. Par contre, le fond de l'océan alpin était très comparable à celui d'un océan à expansion lente (1-3 cm./an) comme l'Atlantique actuel. A cet égard, deux comparaisons sont possibles : avec les segments de l'axe de la dorsale atlantique où des basaltes peu épais reposent directement sur les péridotites serpentinisées injectées de gabbros - ou bien avec les "serpentinites de pied de marge" comme on en connaît au pied de la marge continentale de l'Atlantique, face à la Galice et au Portugal. Qu'il s'agisse des ophiolites alpines en général, ou des deux nappes du massif Chenaillet­Montgenèvre en particulier, les deux comparaisons sont plausibles dans l'état actuel de nos connaissances. Pour expliquer la genèse de ces fonds océaniques particuliers, le modèle explicatif actuellement admis est, dans les deux cas, le fonctionnement d'une faille normale qui fait affleurer au fond de l'océan les péridotites injectées ou non de gabbros. »


Figure extraite du même ouvrage (présentation légèrement retouchée)


Dans une étude récente, publiée par la Geological Society of America (special paper 388, 2005) et dans sa version française publiée par l'Université de Nancy en 2006, l'auteur (Mme Françoise Chalot-Prat) met en évidence d'une façon très convaincante que la surface topographique actuelle est fort proche de celle du fond océanique lors de sa formation, que ce dernier a gardé sa pente originelle et n'a pratiquement pas été déformé tectoniquement depuis ! On y reconnaît fort bien les dispositifs volcaniques élémentaires et leurs deux types d'organisation en systèmes de coussins, tubes et coulées agglutinées.
Je reproduis ci-après de courts extraits de la conclusion de cette publication à laquelle on peut accéder in extenso :

« ...  l'observation détaillée de l'architecture de l'ophiolite du Chenaillet, et plus particulièrement de l'unité volcanique, démontre que les édifices volcaniques simples et composites ont été totalement préservés de la déformation alpine. Il en va de même pour les unités de socle affleurant aux alentours. D'autre part il apparaît que la morphologie actuelle des reliefs correspond à une surface structurale qui, aux effets de l'érosion près, reproduit les reliefs océaniques originels.
 En conséquence cette unité ophiolitique est un témoin direct d'une portion de plancher océanique construit à l'axe de la dorsale de la Téthys Alpine.

Les volcans individuels se présentent soit sous forme de langues de tubes et coussins soit plus couramment sous forme de cône de tubes et coussins disposés autour d'un dyke. Leur structure interne indique qu'ils se sont construits sur une pente en formation. Systématiquement, les volcans les plus élevés topographiquement sont aussi les plus jeunes. Localement, l'accentuation de la pente pendant la poursuite des éruptions a conduit au redressement ou même au déversement du flanc aval des cônes.

L'organisation de ces volcans conduit à distinguer 2 types de systèmes volcaniques, en escalier et en peigne, installés sur des pentes parfois très raides et sur quelques centaines de m2 ou quelques km2 de superficie. Les systèmes en escalier sont plus précoces que ceux en peigne.
- Les systèmes en escalier sont constitués par des entablements en cascade de langues nourries par des injections fissurales à la racine des marches d'escalier.
- Les systèmes en peigne sont formés de chapelets de volcans coniques installés à la croisée de fractures majeures servant de conduits magmatiques et de fractures secondaires obliques sur les premières. Ces systèmes sont souvent pseudosymétriques de part et d'autre des crêtes du relief, lesquelles sont jalonnées par les volcans les plus récents du complexe volcanique.

Ainsi l'ensemble volcanique possède une épaisseur relativement mince (50 m). Elle moule le socle visible sous et entre les volcans des systèmes en peigne et en escalier. Ce socle est globalement bombé. ... »

«... Cette ophiolite du Chenaillet présente toutes les caractéristiques d'un segment de rift interne tel qu'observé à l'axe du rift médio-Atlantique. En effet tant par ses dimensions, sa topographie et sa morphologie, que par l'organisation des volcans à différentes échelles, l'ensemble volcanique est l'analogue d'une colline volcanique abyssale. L'affleurement de manteau serpentinisé de part et d'autre et sous la colline volcanique également typique des zones axiales d'océan à croissance lente, ne font que conforter ce rapprochement.

Il n'en reste pas moins que la préservation jusqu'à aujourd'hui non seulement de l'architecture mais aussi de la paléoverticale et, aux effets de l'érosion près, de la paléotopographie de ce fragment de dorsale océanique d'environ 150 Ma est tout à fait exceptionnelle et inattendue. D'une part la nappe ophiolitique du Chenaillet est située au coeur d'une chaîne de montagne dont la formation dérive de la fermeture de l'océan lui-même et de la collision entre ses marges. Les conditions qui ont permis qu'elle soit entièrement épargnée par les processus tectoniques ayant conduit à son obduction sur une autre unité océanique subductée puis exhumée, restent à élucider. D'autre part, la mise à nu actuelle de la paléotopographie de cette portion d'océan suppose que ce segment de lithosphère océanique flit recouvert après sa formation par une épaisseur de roches suffisamment épaisse pour que la puissante action érosive des glaciers quaternaires entre autres ne l'ait pas encore détruit. »


Pour plus de précisions pétrologiques voir les pages suivantes, dans le site de Christian Nicollet :
L'Ophiolite du Chenaillet / Les Pillows sur le Manteau au Chenaillet / Les Sédiments de l'Ophiolite du Chenaillet / Une excursion au Chenaillet : HOT ou LOT ?

Carte géologique simplifiée des montagnes à l'est de Briançon
redessinée sur la base de la carte géologique d'ensemble des Alpes occidentales, du Léman à Digne, au 1/250.000°", par M.Gidon (1977), publication n° 074

plus au nord :  
Carte géologique simplifiée des alentours de Montgenèvre


catalogue des cartes locales de la section Briançonnais
cartes géologiques au 1/50.000° à consulter : feuille Briançon
aperçu général sur la stratigraphie du Briançonnais
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