section variétés
Alpes Françaises

Les couches du Crétacé inférieur aux abords de Chambéry
(Chartreuse et Bauges)


un exemple de l'évolution du regard géologique au cours du XXe siècle
Légende explicative : Qu'est-ce qu'un étage, une formation etc. ?

Au sud du Mont Revard le versant ouest du chaînon frontal des Bauges montre une belle coupe naturelle, qui tranche la pile de couches de la série stratigraphique jurassico - crétacée des Bauges. La succession du Berriasien-Valanginien y forme notamment les escarpements boisés du socle de la montagne du Nivolet.

version plus grande, muette, de cette image
Le rebord ouest des Bauges, au nord de Chambéry, vu de l'ouest, depuis les pentes de la chaîne de L'Épine, sous Saint-Sulpice.
On a souligné de rouge les limites des principales formations qui se distinguent dans le Crétacé inférieur, au niveau du Pas du Croc.

De l'autre côté de la cluse de Chambéry le chaînon du Mont Joigny montre des affleurements symétriques de la succession du Berriasien-Valanginien, qui sont bien mis à nu, en amont de Montagnole, dans les pentes du Pas de la Fosse et surtout dans les ravins de la face nord de La Gorgeat.

image sensible au survol et au clic

Le versant nord de la Chartreuse septentrionale, au sud de Chambéry vu du nord, depuis les crêtes du Sire (chaînon Nivolet-Revard).
Bes., Bem., Bei. = distinctions stratigraphiques permises au sein de l'épaisse succession berriasienne grâce à l'existence du niveau repère constitué par le "gros banc du Pas de la Fosse" (gb).
a.B = anticlinal de Barberaz ; f.B = faille N-S du vallon de Bellecombette ; a.P = anticlinal de Perquelin (nommé ici "anticlinal de Montagnole") ; Ø3 = chevauchement de la Chartreuse orientale ; a.M = anticlinal chartreux médian.
d.PF = tracé du décrochement du Pas de la Fosse.


L'interprétation actuelle, dans ces deux secteurs, diffère sensiblement de celles qui ont successivement été données par les auteurs qui y ont examiné, au cours du XXe siécle, la succession de couches du Crétacé inférieur.

Dans les deux cas la succession des couches s'y caractérise, comme plus au sud dans les chaînons de la Chartreuse médiane et occidentale, par l'absence des marnes de Narbonne et par l'invasion vers le bas des faciès des calcaires du Fontanil, qui y forment plusieurs barres rocheuses étagées dans la pente (la succession y ressemble finalement beaucoup à celle de la coupe du Fontanil, surtout au Nivolet).

A/ Le cas du Nivolet


Le versant chambérien du chaînon du Nivolet - Revard vu du sud-ouest, depuis les falaises de l'Outheran.
Les alternances de calcaires bioclastique (cb), à faciès Fontanil, et de marno-calcaires (mc), plus ou moins argileux, sont soulignées par une alternance de bandes respectivement rose et émeraude.


Au début du XXe siècle Joseph Révil avait reconnu dans les pentes du Nivolet cette alternance de faciès. Il avait alors considéré que chaque niveau de calcaires bioclastiques appartenait au Valanginien, car avait le faciès, "caractéristique" de cet âge (celui des calcaires du Fontanil). Il imagina donc, d'une façon assez abstraite, un système de plis couchés (il éprouva d'ailleurs une certaine peine à dessiner les raccords entre ces plis supposés et n'y arriva qu'au prix de quelques maladresses graphiques...).

image sensible au survol et au clic

Détail de la succession du Crétacé inférieur des pentes du Nivolet, vu depuis les faubourgs méridionaux de Chambéry (quartier de Bellevue)
Les différents niveaux à calcaires bioclastiques (de faciès "Fontanil", plus ou moins grossier) sont notés de bas en haut cb1, cb2, cb3,cb4 et distingués chacun par une couleur particulière. La perpective en contreplongée ne permet pas de distinguer le talus boisé correspondant au niveau cb5 de la coupe ci-dessous.
Les tirets vert émeraude correspondent à la situation approximative de la limite Berriasien-Valanginien et les tirets vert acide à celle du sommet du Valanginien.


même fenêtre < image plus grande > nouvelle fenêtre
Coupe schématique de la succession des pentes du Nivolet, avec diverses manières de l'interpréter.
On peut dénombrer 5 niveaux montrant des calcaires bioclastiques, de faciès "Fontanil", plus ou moins grossiers.
Le niveau bioclastique inférieur est celui des "calcaires grossiers de Montagnole" : il était censé correspondre, pour J.Révil, à un "synclinal du Villaret", surmonté par un "anticlinal de Razeray", qui supportait à son tour un "anticlinal de Monterminod"...
Le schéma en vert exprime le principe de l'interprétation de J.Révil (et non le détail de celle-ci).


Albert Pachoud montra dans les années 1950 que le niveau bioclastique inférieur, dit des "calcaires grossiers de Montagnole" s'intercalait stratigraphiquement dans les calcaires à ciment du Berriasien inférieur, exploités alors, à l'est de Montagnole, dans les carrières Chiron. Puis Paul Gidon et André Collignon récoltèrent dans le troisième niveau bioclastique, sous le Pas du Croc, une belle faune d'ammonites du Berriasien supérieur. Dès lors la paléontologie ne justifiait plus d'envisager des redoublements tectoniques dans la succession du Nivolet.

B/ Le cas du Joigny

Au début des années 1950 les recherches de Paul Gidon dans le chaînon du Joigny, lui montrèrent l'existence de répétitions, finalement analogues à celles du Nivolet. En effet des niveaux calcaires plus ou moins bioclastiques, du type de ceux connus désormais dans le Berriasien de la partie inférieure de la coupe du Nivolet, y alternent avec des marnes (mais le plus souvent les faciès y sont globalement moins bioclastiques, de sorte que l'analogie lui échappa).

image sensible au survol et au clic

Les ravins du versant nord-ouest de la Gorgeat,
vus de Vimines.
Les principales lentilles de calcaires bioclastiques ("c.biocl.") sont soulignées de rouge.


Le principal repère utilisé était le "gros banc du Pas de la Fosse" (qui forme une falaise presque continue dans le versant nord de la montagne et qui était connu de longue date pour ses ammonito-faunes berriasiennes. Quant aux marnes elles furent alors attribuées au Valanginien ("marnes de Narbonne"), sur la base de leur faciès et de rares récoltes d'ammonites (en fait peu probantes et mal déterminées), ainsi qu'en raison de la continuité de plusieurs de leurs niveaux avec les marnes du col du Granier (attribuées très justement à ce niveau).

image sensible au survol et au clic

Les ravins du versant nord-ouest de la Gorgeat vus de l'ouest, depuis l'épaule orientale du Mt Pellaz.
Les tirets rouges soulignent le "gros banc du Pas de la Fosse", niveau-repère des calcaires argileux du Berriasien moyen. Aux abords du col du Midi il n'affleure qu'à l'ouest du col (ravins du Pellaz) et on le voit réapparaître, au sud du décrochement, en rive orientale du ravin du Cozon.
Les niveaux marneux coupés de petits bancs des ravins de La Gorgeat, qui sont sous-jacents au gros banc du Pas de la Fosse, appartiennent à la partie inférieure du Berriasien moyen. Ils affleurent sur tout le pourtour septentrional de la montagne, donnant un talus continu (souvent boisé) qui se poursuit loin vers le nord-est (jusqu'au delà du Pas de la Coche) entre les collines de Montagnole et le pied des abrupts du chaînon du Joigny.
d.PF = décrochement du Pas de la Fosse, qui interrompt la continité des affleurements du "gros bancs" aux abords du col du Midi (interprété comme le chevauchement j1 dans la coupe de P.Gidon, ci-dessous).


Paul Gidon cartographia soigneusement ces deux types de niveaux (sur les fonds topographiques au 1/20.000° en cours de parution). Ce faisant il constata leur terminaison latérale en biseau et le fait que, en plusieurs points, le changement de faciès s'y produisait souvent brutalement, avec des limites nettes, constituées par des surfaces obliques au couches ondulées et striées. Il en déduisit qu'il s'agissait là de surfaces de failles à faible pendage (failles "inverses") et imagina alors un dispositif d'écailles imbriquées (P.GIDON, 1951 et 1968).


Coupes du chaînon du Joigny par Paul GIDON (1963) La Drière est l'ancien nom de la Pointe de la Gorgeat
Les surfaces de chevauchement supposées sont notées .
Cvi = Berriasien (= calcaires plus ou moins massifs) ; Cva = Valanginien inférieur (= marnes) ; Cvb = Valanginien supérieur (= calcaires bioclastiques grossiers) (ces notations sont celles usitées sur l'ancienne carte au 1/80.000°)


image sensible au survol et au clic

Le versant sud des crêtes Pellaz - Joigny (haute vallée du Cozon) vu du sud depuis le sommet du Pinet
interprétation actuelle (les imbrications tectoniques sont remplacées par des indentations de faciès, purement stratigraphiques).
s.S = prolongement septentrional du synclinal du Sappey ; a.P = anticlinal de Perquelin - Montagnole ; f.J = faille extensive du Joigny (voir remarques ci-après) ; d.PF = décrochement du Pas de la Fosse (à l'est du Pellaz, au delà du col du Midi il disparaît car il passe en arrière-plan, dans les pentes septentrionales de la Pointe de la Gorgeat).

Une dizaine d'années après, je fus amené à reprendre l'étude du secteur septentrional de la Chartreuse, pour le lever de la carte géologique (feuille Montmélian). J'ai alors eu la chance de pouvoir utiliser deux nouveaux outils de stratigraphie paléontologique qui étaient récemment apparus :
- une nouvelle zonation des successions de faunes d'ammonites, basée sur une analyse détaillée du stratotype de Berrias (par G. Le Hégarat).
- une nouvelle zonation des successions de microfaunes de calpionelles du Berriasien (par J. Remane).

image sensible au survol et au clic

Les crêtes du fond du Cozon (ligne de partage des eaux par rapport à la dépression de Chambéry), vues de l'ouest, depuis les pentes de l'Outheran, au dessus du col du Mollard.
Les barres rocheuses qui émergent des bois, dans les pentes de la Gorgeat et du Pellaz, correspondent à autant de niveaux calcaires bioclastiques, plus résistants que les calcaires argileux dans lesquels ils sont interstratifiés.
On surplombe ici le vallon supérieur de Lélia et le col du Mollard, dont les conifères recouvrent de la molasse miocène.
d.PF = décrochement du Pas de La Fosse.

J'ai donc parcouru les divers ravins de la montagne, en y récoltant quelques centaines d'échantillons que j'ai soumis à ces paléontologistes, je suis arrivé à trois conclusions :
- il n'y a là qu'une série stratigraphique continue et normale, chaque strate étant toujours plus récente que celle qu'elle recouvre. Les imbrications de Valanginien avec du Berriasien qui y avaient été admises sont illusoires (elles étaient basées sur de mauvaises déterminations et de mauvaises attributions stratigraphiques des ammonites précédemment récoltées). La base des marnes de Narbonne du col du Granier est enfin d'un âge correspondant au passage du Berriasien au Valanginien (et non Valanginien franc) ;
- les hiatus observés par Paul Gidon dans la succession sont des surfaces de corrosions par les courants sous-marins et fossilisées par des arrivée brutales ("crachées") de sables bioclastiques, en d'autre termes des bases de turbidites (on y reconnaît d'ailleurs les figures caractéristiques, flute-casts et autres) ;
- l'épaisseur et le nombre des crachées bioclastiques s'accroît d'est en ouest, ce qui s'accorde avec un interprétation selon laquelle il s'agirait de coulées sableuses progressant depuis le rebord externe de la plateforme jurassienne, située plus à l'ouest, vers la base du talus qui correspond à la zone subalpine.

On trouvera ci-après deux schémas, publiés en 1966, illustrant l'analyse stratigraphique de la succession berriasienne du secteur du Mont Joigny ainsi que l'interprétation paléogéographique proposée alors (pour des données complémentaires plus précises concernant les documents paléontologiques et la description des coupes de référence on se reportera à la publication039):


même fenêtre < image plus grande > nouvelle fenêtre
Tableau synthétique du Néocomien, entre Chambéry et Entremont-le-Vieux,
donnant la succession, la constitution, la position biostratigraphique et l'âge des membres stratigraphiques distingués par l'auteur (la dernière colonne se réfère au stratotype* de Berrias, analysé et décrit à l'époque par G. Le Hégarat).
(extrait de la publication039)


Reconstitution de l'organisation des dépôts du Néocomien de la Chartreuse septentrionale
NB : 2 (marnes franches) = "marnes de Narbonne"
(
extrait de la publication039 , présentation modifiée)

Ce bref résumé montre en conclusion :
- l'erreur fondamentale que constitue la confusion entre les formations lithologiques et les étages à base paléontologiques ;
- que la paléontologie est un important outil pour l'interprétation tectonique ;
- que les interprétations et même les observations sont sous la dépendance étroite des idées et des connaissances de l'époque et sensibles aux modes successives ...


Remarque annexe sur la structure des environs du col du Granier :

À l'ouest du col du Granier, l'extrémité sud-est de la crête du Joigny est coupée en biais par la faille du Joigny (voir cliché plus haut dans la page).
C'est une cassure assez importante, que l'on suit bien vers le sud, où elle traverse la vallée du Cozon aux abords nord d'Épernay ; vers le nord son tracé est plus difficile à localiser, en raison du fort couvert végétal qui garnit les pentes qui descendent vers Apremont, mais il semble passer immédiatement à l'est du Pas de la Fosse. Son rejet vertical consiste en un abaissement de son compartiment oriental.

L'azimut du tracé de cette cassure, proche de N30, est nettement plus méridien que celui de la plupart des autres décrochements dextres de Chartreuse. Il porte à y voir le prolongement méridional de la faille de Camelot qui, sur la rive opposée de la trouée de Chambéry - Montmélian, affecte le chaînon du Mont Saint-Michel (et qui se place bien dans le prolongement de son tracé vraisemblable). De fait, aucun autre accident de ce secteur de la Chartreuse n'a à la fois l'azimut ni l'importance du rejet de la faille de Camelot.

Or on remarque que c'est pratiquement de part et d'autre du tracé de la faille du Joigny que se fait le passage latéral, au sein des couches du Berriasien supérieur, entre des couches à facies "marnes de Narbonne", qui affleurent à l'est, et des alternances marno-calcaires à passées bioclastiques qui les remplacent à l'ouest du secteur du col du Granier (voir les schémas ci-dessus). On peut donc envisager que la faille du Joigny représente un ancien accident syn-sédimentaire extensif (éventuellement réactivé ultérieurement en décrochement). Cette hypothèse est renforcée par le fait que son orientation, très méridienne, est aberrante par rapport à celle des décrochements de Chartreuse et qu'elle s'accorde mieux avec celle des autres failles extensives syn-sédimentaires connues dans les massifs subalpins septentrionaux.

 

Schéma cartographique montrant la répartition des zones de faciès jurassien, "présubalpin" (= du type Joigny - Nivolet) et subalpin externe (du type grenoblois, à marnes de Narbonne épaisses) pendant le Néocomien, dans le massif de la Chartreuse.

(figure agrandissable)


tableau de l'Échelle stratigraphique générale
pour obtenir des développements complémentaires et des explications générales
consulter l'exposé sur l'échelle stratigraphique.

retour au début de la page
aller à la
page d'accueil générale
Dernières retouches apportées à cette page le 24/09/16