(LES ROCHES DE CHARTREUSE)


Les calcaires tithoniques

Ce sont eux qui constituent les plus basses falaises du bord oriental du massif qui domine le Grésivaudan ; mais à l'intérieur du massif ces couches n'apparaissent le plus souvent qu'à la faveur des bombements anticlinaux.

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Les abrupts orientaux du Saint-Eynard, vus du NE, d'avion, depuis l'aplomb de Saint-Ismier.
(f.pG = faille du Pas Guiguet ; f.A = faille du ravin de l'Aiguille)


 Problème de Nomenclature :
Depuis plus de 100 ans les géologues alpins ont coutume de désigner du nom de Tithonique les falaises calcaires du sommet du Jurassique, dites parfois "barre tithonique".
Ce terme traditionnel n'a pas la désinance en "-ien" exigée pour les noms d'étage et n'en désigne d'ailleurs pas un : c'est une formation*, qui en couvre plusieurs.
Depuis la fin du XXe siècle on a convenu de créer un étage nouveau, le "Tithonien" pour désigner la tranche chronologique supérieure au Kimméridgien du domaine alpin ; mais cet étage n'est pas l'équivalent du Portlandien anglais (ni jurassien) car il n'a pas les mêmes limites ni le même contenu en terme de zones paléontologiques* (voir le tableau, plus bas dans cette page).
Dans l'exposé ci-après on peut considérer que c'est la corniche tithonique supérieure qui est d'âge tithonien ; ailleurs les limites de cet étage sont souvent beaucoup plus difficiles à repérer au sein de la barre tithonique.

Les calcaires tithoniques, au sens large, forment une bande de falaises couronnée par une corniche. Cette "barre tithonique" (beaucoup plus franchement délimitée que celle des calcaires du Fontanil) est en général partagée en deux par un talus intermédiaire, ce qui fait qu'un examen plus détaillé la montre constituée de 3 termes superposés :

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Le sommet du Saint-Eynard, vu d'avion depuis le sud, et l'enfilade du rebord subalpin.
En arrière du fort la cuvette du Sappey est un val ouvert dans les couches du Crétacé inférieur. Le fort est construit sur les couches les plus élevées du Tithonique supérieur.


- La corniche supérieure (ou "calcaires de la Porte de France") correspond au Tithonique sensu stricto des stratigraphes ; elle est elle-même constituée d'alternances plus ou moins massives ou litées ;

- le talus intermédiaire, formé des "couches de la "galerie du Saint-Eynard" (du nom de la large vire qu'emprunte le sentier d'accès au Pas Guiguet) ; il est daté du Kimméridgien inférieur (= "Dorsétien" de la nomenclature des étages anglais ; cf. schéma, plus bas dans la présente page) ;

- La corniche inférieure est traditionnellement désignée du nom de Séquanien (qui est celui d'un ancien étage du bassin parisien, abandonné dans la nomenclature actuelle, et correspond aux couches de l'Oxfordien terminal et du Kimméridgien basal, dans la succession des étages standard.

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La partie basse de l'éperon de la Bastille et les quais de l'Isère, vus d'avion, du sud-est
f.B = faille de la Bastille ; f.S = faille de la Saucisse
Les tirets orange correspondent à la base du gros banc massif du Tithonique inférieur et les tirets roses à la base des bancs métriques à joints marneux de la transition Tithonique - Kimméridgien.


La puissance totale de ces trois niveaux dans la corniche tithonique du Grésivaudan est d'environ 600 m, dont 200 m. pour le Tithonique proprement dit et 300 m. pour le Séquanien. Mais cette épaisseur s'accroît d'E en W (comme le fait d'ailleurs celle des calcaires du Fontanil) : elle atteint plus de 800 m en bordure ouest du massif, notamment dans le soubassement de la Grande Sure (Charminelle, gorges du Guiers Mort) soit à peu près 1,5 fois ce qu'elle est au Saint-Eynard.

a) Caractéristiques

Malgré une apparence à distance et un rôle dans le paysage assez semblables à ceux des deux niveaux repères précédents (Urgonien et calcaires du Fontanil) les calcaires du Jurassique supérieur ("tithoniques" au sens large) en diffèrent assez fondamentalement en ceci que ce sont des dépôts pélagiques, formés par décantation en haute mer. C'est ce dont attestent notamment les fossiles qu'ils contiennent : ammonites (du groupe des Perisphinctes ) et micro-organismes à tests fragiles tels que radiolaires (apparaissant comme des petites taches claires, à la loupe) et calpionelles (seulement visibles au microscope), dans les niveaux les plus élevés.

La teinte de la roche, malgré une patine très claire, est en général gris-brun ou café-au-lait plus ou moins sombre en cassure, sauf dans certains niveau de la partie haute, où elle vire au crème. Son aspect à la loupe révèle une pâte très fine mais mate, sans transparence, car formée de la juxtaposition de très fines particules, sans plages de calcite cristallisée (pâte "micritique").

Le litage est assez marqué, avec des surfaces de bancs bien nettes ou au contraire avec des joints décimétriques plus marneux, selon les niveaux. Ces joints, très minces ou absents dans la corniche inférieure (Séquanien) sont très importants, aussi épais que les bancs, à certains niveaux de la vire kimméridgienne. L'épaisseur des bancs, très variable, est en général de 20 à 50 cm, sauf dans la corniche supérieure, qui se caractérise par l'alternance de faisceaux de bancs centimétriques et de bancs pluri-métriques. Ces derniers se révèlent le plus souvent constitués de galets soudés, mal visibles parce que leur pâte est très peu différente de celle du ciment. Ces niveaux conglomératiques, connus de longue date sous le nom de "fausse brèche", résultent du glissement de la vase en cours d'induration ("slumping") et de son remaniement par des courants sous-marins.

Les calcaires du Tithonique ont été exploités dans diverses carrières des environs de Grenoble, notamment à la Porte de France (voir plus de détails à la page "anciennes carrières").


b) Formations apparentées (par leur âge)

Dans le domaine jurassien (extrème bordure ouest du Vercors et chaînon du Ratz, notamment) les couches rattachables aux calcaires tithoniques par leur faciès pélagique et par leur paléofaune d'ammonites "tethysiennes" (qui permettent de les dater) n'existent pas : ils font place à des calcaires, déposés dans un environnement récifal, qui forment des falaises plus massives (dénuées de litage sur des épaisseurs de 50 à 100 m). Les plus connus, en raison des exploitations auxquelles ils avaient donné lieu, sont les calcaires de l'Echaillon (voir la page "Veurey" et la page "carrières").

Le tableau ci-dessous schématise grossièrement les relations chronologiques de cette formation (figuré de gros points rouges) avec celles du Jurassique terminal alpin et fait apparaître son caractère diachronique : les calcaires récifaux de la marge orientale du Jura couvrent un laps de temps allant du Kimméridgien supérieur au Berriasien inférieur, sans que l'on puisse y repérer les limites entre ces étages.


Tableau des étages et formations régionales classiques du Jurassique supérieur :
à gauche la succession du domaine boréal (anglais), anciennement considérée comme base des "étages standards" ; à droite la succession du domaine téthysien dans les environs de Grenoble, avec la position des étages Berriasien et Tithonien par rapport aux étages anglais.


Concernant la nomenclature des étages du Jurassique supérieur on trouvera des explications supplémentaires en lisant la conférence consacrée aux principes du découpage stratigraphique : la figure ci-dessus montre les équivalences latérales, à ces niveaux, entre les formations propres aux différents secteurs classiques.


c) Illustrations

On trouvera ci-après quelques exemples, classés de haut en bas de la succession :

Vue globale de la corniche tithonique supérieure (Calcaires de la Porte de France), au Pas Guiguet (en Chartreuse orientale, au NE du Saint-Eynard)

La corniche tithonique du Châtel (Bonnet de Calvin), en Dévoluy : vue globale et vues de faciès de conglomérats bien caractérisés.




Un aspect typique du Tithonique proprement dit :
niveau à petits lits ondulés intercalé entre deux gros bancs (route du Guiers Mort en aval du pont Saint-Pierre)

Vue d'ensemble de la succession comprise entre le Tithonique et le Séquanien (au Rocher Saint-Loup, à l'ouest de Vif)


Les couches du Kimméridgien (= "couches de la galerie du Saint-Eynard")
à l'extrémité septentrionale de la plate-forme de la Bastille ("Grottes de Mandrin").

L'entaille pratiquée dans la montagne pour fournir les matériaux de la plateforme (tout en étendant sa surface vers le nord), a mis au jour une bonne coupe de la succession des couches de la formation traditionnellement dénommée "Kimméridgien" dans notre région (c'est l'équivalent du Dorsétien, c'est-à-dire du seul Kimméridgien inférieur des anglais). Les petits bancs à joints argileux du "Kimméridgien inférieur" (au sens local) se poursuivent vers la droite jusqu'au départ de la route forestière du Jalla (voir cliché suivant).
Du côté gauche (ouest) le creusement a dégagé un mur naturel qui correspond à une surface de cassure, bien caractérisée par ses enduits calcitiques porteurs de stries et par le fait qu'elle est oblique aux surfaces de strates (s0).

Vue plus rapprochée de la stratonomie du Kimméridgien inférieur, à l'extrémité NE de la plate-forme de La Bastille.
version plus grande de cette image
Les bancs sont sub-verticaux et leur succession correspond, de droite à gauche, à leur succession stratigraphique de bas en haut.
L'affleurement montre bien que cette formation est caractérisée par l'alternance de faisceaux de faisceaux de petits bancs calcaires (épais de 10 à 20 cm) et de niveaux métriques plus marneux (la partie supérieure de l'affleurement est en outre affectée d'un pli de taille métrique).

Quelques bancs de calcaires argileux du Kimméridgien inférieur

vue très rapprochée, sous la plateforme de la Bastille, montrant l'épaisseur que peuvent atteindre les lits marneux qui séparent les bancs.
L'affleurement montre en outre, dans les joints marneux, une belle schistosité oblique, qui a été soulignée.


Un exemple typique de bancs du Séquanien, sur les pentes de La Bastille.

Les bancs, ici sub-verticaux (ils se succèdent de droite à gauche dans le sens stratigraphique remontant), sont régulièrement lités et épais d'environ 0,5 m. On remarque, par opposition avec les bancs du Kimméridgien, que les joints marneux sont minces ou absents.

D'autres bancs du Séquanien, sur le versant ouest du Roc d'Arguille (route forestière de l'Océpé)

Les bancs, ici fortement inclinés vers la droite, sont régulièrement lités et épais d'environ 0,5 m. Les joints marneux sont minces ou absents.


d) Formations encadrantes

Vers le haut le sommet de la barre tithonique est souligné par un changement très brutal de nature des roches, les calcaires clairs faisant place à des calcaires très argileux, sombres, facilement déblayés par l'érosion, ce qui a souvent conduit l'érosion à en dégager la dalle structurale au revers des crêts du Tithonique. La netteté de cette limite est due à une petite interruption de sédimentation, durant laquelle des courants sous-marins profonds froids, dissolvants et oxydants, ont corrodé la surface du dernier banc tithonique. Cela se marque par une surface mamelonnée et enduite d'oxyde de fer ("hard-ground"), observable chaque fois que cette dalle est dégagée (par exemple sur le chemin qui va du Jalla au vallon de Narbonne).
La surface sommitale des calcaires tithoniques a également pu être étudiée au niveau des tunnels de la route D.30 menant des Eymes à Saint- Pancrasse : elle y montre des traces de courants indiquant un glissement vers l'ouest des premiers sédiments berriasiens qui se sont déposés après l'interruption de sédimentation (voir la page "Berriasien")

Vers le bas il y a un passage assez transitionnel depuis les calcaires lités séquaniens aux alternances de marnes et de calcaires argileux de l'"Argovien". La succession de ces assises tout à fait inférieures ne se voit d'ailleurs bien, en Chartreuse, que le long de la route du col de Porte, au voisinage du col de Vence ou dans les ravins du versant inférieur des Petites Roches.

 


Fossiles de Chartreuse

Monter d'un niveau dans la succession stratigraphique ? :
Descendre d'un niveau dans la succession stratigraphique ? :

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Dernières retouches apportées à cette page le 18/02/17